Sommaire
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Qui se cache derrière les discours des dirigeants?
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Bureau 121, plume et coach en art oratoire
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L’écriture, une ambition dès l’enfance
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Se glisser dans la peau de son client
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S’exprimer en public, un potentiel mal exploité chez les femmes
- Amélie Blanckaert, fondatrice du Bureau 121 et auteure de « Votre parole vaut de l’or » aux éditions Plon – Informelles
Qui se cache derrière les discours des dirigeants?
Derrière les discours de Carlos Ghosn, Serge Papin ou encore Tony Parker, se cache une femme, Amélie Blanckaert. Née dans une famille où l’écriture occupe une place prépondérante, Amélie se forme à l’art oratoire lors des cérémonies familiales, telles que les mariages ou les enterrements dont les résumés de vie la fascinent. Sans savoir qu’elle pouvait en faire un métier, elle se destine d’abord à l’enseignement, en donnant des cours de littérature et d’art oratoire dans des universités de prestige, telles que le Trinity College à Cambridge en Grande Bretagne et à Sciences Po Paris. Puis en 2006, elle fonde son agence de communication, dont le premier nom sera « Coup de plume », avant de devenir « Bureau 121 » pour donner la dimension « one to one » de sa relation privilégiée avec les top managers qui sont ses clients. Elle y accompagne d’abord des grands dirigeants d’entreprises du CAC40 ou autres en rédigeant leurs discours et en les coachant pour leurs prises de parole. Aujourd’hui le « Bureau » est devenu « une agence de conviction » qui les suit dans leur stratégie de communication élargie et dans leur aptitude à fédérer les équipes et qui les dote du pouvoir de l’éloquence…
Puisque les dirigeants ne sont pas les seuls à avoir besoin de rhétorique dans leur quotidien, Amélie Blanckaert s’est lancée dans l’écriture d’un ouvrage à destination de tous celles et ceux qui veulent progresser dans la prise de parole. « Riposter dans l’instant et non pas trois heures après » lors d’une dispute, défendre un point de vue sans se faire interrompre en réunion ou bien combler les vides d’une conversation ardue. Pour se retrouver armé dans tous types de situation, elle livre 25 conseils dans son livre « Votre parole vaut de l’or » publié aux éditions Plon. Interview de cette femme volubile et gaie, qui nous reçoit chez elle.
Amélie Blanckaert, plume et coach en art oratoire avec Bureau 121
Informelles : Qui êtes-vous ?
Amélie Blanckaert : « Je m’appelle Amélie Blanckaert et j’ai créé une agence qui s’appelle Bureau 121 (One to One) qui est une agence de conviction ».
Concrètement, comment ça marche ?
A.B. : « On accompagne des chefs d’entreprise, des dirigeants pour les aider à convaincre. C’est notre métier. On fait de la communication à l’échelle des dirigeants. C’est à dire que l’on aide des dirigeants en travaillant sur mesure avec eux pour les aider dans un cas de transformation. Par exemple, si une entreprise va être vendue, il va falloir expliquer aux salariés pourquoi on la vend, à qui, pourquoi c’est intéressant et quelle est l’histoire qui va naître de cette fusion. Notre métier, c’est vraiment d’aider les dirigeants à convaincre leurs salariés du bien fondé de cette histoire et de trouver les bons mots, les bons canaux, la bonne façon d’exprimer les choses et de dialoguer avec eux. Donc, notre métier se traduit très concrètement par du conseil. Il se traduit par de l’écriture, on écrit des discours, on écrit des notes stratégiques et il se traduit par du coaching ».
Pourquoi ce nom ?
A.B. : « J’adore le mot bureau. C’est un lieu où on se rassemble, c’est un lieu où les gens vont venir pour se parler. Et puis « one to one », parce que c’est comme ça que les Anglais demandent un rendez-vous de face à face qui se trouve être du coaching le plus souvent. Et notre métier, c’est vraiment ça. C’est essayer de trouver du « sur mesure » pour accompagner des dirigeants et les aider à convaincre ».
Qui ont été vos premiers clients ?
A.B. : « L’un de mes premiers clients a été Tony Parker, au moment où il était déjà un basketteur très renommé et en même temps, il voulait avoir une notoriété plus grande via la mode. À ce moment-là, il cherchait des marques pour les incarner. Il se trouve que ce sera Fursac et il a donc fait appel à un communicant, en l’occurrence moi, pour écrire sa bio et donner envie à la marque de faire appel à lui. C’était très amusant. […] Ensuite, j’ai travaillé pour Serge Papin, un homme absolument brillantissime qui dirigeait Système U, qui était alors la marque agroalimentaire préférée des Français. C’est tous les Super U que l’on connaît. Là aussi, j’ai beaucoup appris. […] Ensuite, un de mes plus gros clients a été Carlos Ghosn, un tout autre profil. Son entreprise fait partie du CAC 40. Ce qui est intéressant dans ce métier, c’est justement que l’on peut être avec des gens qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Tout à l’heure, vous me demandiez en coulisses si mon activité avait tout de suite marché. Ma chance, c’est que oui. J’ai tout de suite eu des clients qui m’ont fait confiance et des clients d’un très bon niveau, si je puis dire, c’est à dire des clients qui avaient déjà une notoriété, qui me faisaient confiance. L’avantage, c’est que ça vous met en confiance de vous dire que des gens qui sont déjà très établis, peuvent faire appel à vous alors que vous n’êtes personne ».
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L’écriture, une ambition dès l’enfance
Comment est née votre vocation ?
A.B. : « Je viens d’une famille ou tout le monde écrit et j’ai assisté à énormément de discours d’enterrement. C’est ça qui m’a forgé. J’ai appris l’écriture par la mort en voyant toute ma famille faire des portraits de gens qui ont compté dans leur vie. Donc j’ai appris cet exercice par le plus difficile des discours, qui est le discours d’adieu. Et pour moi, c’est le Graal, c’est le discours suprême. C’est-à-dire être capable, par un discours de cinq minutes, de traduire une vie qui peut avoir duré 80 ans et de rassembler des gens pour éviter qu’ils sombrent et d’essayer le plus possible de les apaiser. Donc ma vocation est née comme ça. Au départ, je n’ai pas pensé que c’était un métier. Pour moi, c’était un passe-temps. Puis, je suis devenue professeure à l’université où j’ai enseigné Montaigne et les Essais. Là, j’ai appris l’art de la polémique […]. Et après, en étant prof de fac, j’ai compris l’importance de la transmission. Pour moi, un bon prof, c’est quelqu’un qui sait raconter des histoires, c’est quelqu’un qui donne envie, c’est ça l’art oratoire. Je l’ai appris au fur et à mesure de mon histoire et de mon parcours. Un jour, je me suis dit « il faut que je quitte l’Education nationale, tout en continuant à enseigner ». C’est ce que j’ai fait, en montant une agence dont je voulais qu’elle ne soit pas une agence de plus ».
« J’ai appris l’écriture par la mort en voyant toute ma famille faire des portraits de gens qui ont compté dans leur vie ». Amélie Blanckaert, fondatrice de l’agence « Bureau 121 »
A qui s’adresse votre livre ?
A.B. : « J’ai écrit ce livre pour tous ceux qui ont peur de parler en public – et ils sont extrêmement nombreux. Il est même surprenant de voir à quel point des dirigeants eux-mêmes peuvent avoir le trac et être malhabiles dans l’exercice. Parce que l’éloquence, ce n’est pas une histoire d’intelligence. Il ne suffit pas d’être intelligent pour parler, il ne suffit pas de connaître son sujet pour parler. Et d’ailleurs, l’expérience montre que les experts sont souvent les moins bons communicants. Donc ce livre s’adresse évidemment aux dirigeants. Il s’adresse aussi aux politiques, il s’adresse aux étudiants, il s’adresse aux professeurs. Il s’adresse à n’importe quel citoyen qui a envie de défendre une conviction ».
Se glisser dans la peau de son client
Comment écrire le discours de quelqu’un d’autre ?
A.B. : « C’est tout l’intérêt du métier, qui fait qu’on se glisse dans la peau d’un personnage. Comme au théâtre, on interprète un personnage. On va par exemple se mettre dans sa cuisine et écrire comme si on était cette personne. Quand j’écrivais pour Carlos Ghosn, j’étais Carlos Ghosn, d’une certaine façon. Quand j’écrivais pour Catherine Guillouard, je me mettais à la place de Catherine Guillouard. On n’est jamais totalement l’autre. Et ça, c’est fondamental. D’ailleurs, il faut tout à fait raison garder. Mais on se met dans la peau de l’autre, dans ses émotions, dans ses convictions, dans l’histoire d’une entreprise. Et on doit le plus possible être dans cette justesse. Parfois, c’est le travail d’une vie et, en même temps, c’est un travail qu’on ne peut pas faire non plus très longtemps, parce qu’il faut à un moment sortir du personnage, parce que si l’identification est trop forte, on finit par ne plus savoir bien écrire. Il faut cet équilibre savant entre le fait de se mettre à la place de l’autre et être extérieur de l’autre pour pouvoir justement trouver les mots justes ».
Faut-il apprécier une personne pour écrire ses discours ?
A.B. : « Je pense que oui, mais je ne suis pas sûre qu’écrire les discours de quelqu’un qu’on n’apprécie pas fasse un bon discours. Je crains le résultat parce qu’effectivement, quand on écrit un discours, on doit être très inspiré. Et je pense que quand on est en lutte avec quelqu’un et surtout avec ses idées, davantage qu’avec une personne, on écrit moins bien parce qu’on ne peut pas être convaincant en étant dans la fausseté. Peut-être que certains savent le faire, moi non. J’ai besoin d’y croire, mais j’ai ce recul qui fait que ce n’est pas non plus nécessairement à 200 % toutes mes convictions. Et c’est intéressant aussi parce que ça vous aide à penser autrement, à faire un pas de côté. Les femmes ont tendance à ne pas assez oser. Je crois que les femmes ont intérêt à davantage parler. Elles le font de plus en plus et, d’ailleurs, elles ont beaucoup de conviction à partager. On revient de loin parce que, souvent, les femmes sont trop bien élevées, ce qui fait qu’elles n’osent pas parler, surtout devant un parterre d’hommes ».
S’exprimer en public, un potentiel mal exploité chez les femmes
Les femmes prennent-elles moins la parole en public ?
A.B. : « Souvent, les femmes sont trop scolaires, ce qui fait qu’elles ont besoin de tout justifier. Or, la conviction, c’est l’inverse. La conviction, c’est assumer la frustration de ne pas tout dire. Il faut donc faire attention à ça. Il faut éviter les discours à rallonge. Je vais faire « petit, un petit bébé ». Il faut aussi éviter ça. Ce n’est pas bon du tout en terme de conviction. Et puis après, les femmes doivent utiliser, comme les hommes, leurs atouts. Si c’est la douceur, utilisons la douceur. Si c’est la force, utilisons la force. Chacun son atout. Il n’y a d’ailleurs pas d’atouts féminins ou masculins. Je n’y crois pas du tout. Les mots mêmes « prendre la parole » sont intéressants. Il ne faut pas attendre qu’on vous donne la parole. Il faut la prendre comme on attrape une balle. Comme à Roland Garros, il faut aller au filet. Mais c’est surtout du ping-pong. Il faut être rapide. Il faut très vite aller chercher la balle, l’attraper et la lancer. Puis la garder aussi de temps en temps. Parce que oui, on peut vous la voler et les hommes le font très bien. Mais c’est à nous d’oser ».
Trois conseils pour une femme dirigeante ?
A.B. : « D’abord, le premier conseil que je donnerais à une femme dirigeante, c’est attention, il ne suffit pas d’avoir une compétence, il ne suffit pas d’être dans le savoir faire, il faut cultiver, le faire savoir. Et je dirais s’y employer très vite. Les femmes ont tendance à vouloir faire leurs preuves avant de parler. C’est parfois assez sage, mais c’est parfois trop sage. C’est parfois trop prudent, ce qui fait qu’on ne les entend pas assez. Et donc parfois vraiment, on les entend pas du tout. Donc je dirais cultivez cet art de vous exprimez et faites le assez régulièrement pour que ça devienne une gymnastique naturelle. Parce que plus on parle, meilleure on est. Il n’y a pas de secret. Donc ça, c’est le premier conseil. Parler régulièrement, parler à vos équipes, mais parler aussi à l’extérieur. Au fond, ce serait oser et pratiquer.
« Soyez plus directes, commencez par la conclusion. » Amélie Blanckaert, fondatrice de « Bureau 121 »
Mon deuxième conseil, c’est soyez plus directe. Ça veut dire quoi ? […] Commencez par la conclusion. Parce que s’il y a trop de préliminaires, ce qui est très féminin, il y a le risque d’un surcroît de justifications et d’explications et que l’on perde le fil. Donc, soyez plus directes, commencez par la conclusion.
Et enfin, que dirais-je à ces jeunes femmes ? Trouver sa patte, trouver son style. […] N’essayez pas de dupliquer. N’essayez pas de singer les hommes ou même une autre femme, mais trouver votre manière d’être à vous. Pourquoi ? Parce que tout l’enjeu, c’est à la fois de préparer et de rester naturelle. On l’a très bien vu avec notamment l’aventure de Valérie Pécresse qui fait qu’à mon avis elle n’était plus elle-même. Et c’est bien ça le sujet. C’est qu’à un moment, quand on est travesti par d’autres codes qui ne sont pas les bons, eh bien, on n’est plus crédible. Donc, pour être crédible, je pense qu’il faut être au clair sur ses valeurs, sur ses convictions, sur sa façon à soi de mener sa barque. Et quand on est entrepreneur, on prend des risques. Donc il faut aussi prendre le risque d’être soi et c’est un risque. Mais aussi une preuve de courage et c’est ce qui est intéressant ».
Être entrepreneure en 2022 ?
A.B. : « C’est formidable d’être entrepreneuse en 2020. D’abord, c’est la liberté d’être son propre patron, même si quand on est entrepreneur, nos clients sont un peu nos patrons. Mais il y a une liberté de choix de vie, il y a une liberté d’emploi du temps. Il y a une liberté surtout de prise de décision. Et je pense que pour une femme, c’est la meilleure des situations parce qu’une femme ne peut pas dire « quelqu’un m’a dicté ça ». Une femme entrepreneuse ne peut pas le dire, elle choisit ce qu’elle ressent, elle choisit là où elle veut aller. Moi, j’aime cette prise de risque. Et puis, c’est la capacité finalement à inspirer d’autres personnes. Je trouve que les femmes ont une mission de ce point de vue-là, qui est d’inspirer d’autres femmes et de leur dire « venez dans l’aventure ou bien créer vous-même votre propre histoire, votre propre entreprise, parce que c’est extraordinaire et que ce risque, ce risque, est extrêmement gratifiant ». Et ça m’évoque en fait une phrase que j’aime beaucoup de Bernanos qui écrit dans « Le Journal d’un curé de campagne », « La jeunesse est bénie, elle est un risque à courir ». Moi, je dirais l’art de créer son entreprise est bénie, c’est un risque à courir. Au mieux, vous réussirez un peu et, encore mieux, vous réussirez énormément. Je m’exprime mal. Ce que je veux dire par là, c’est que on ne peut qu’apprendre, on ne peut pas stagner quand on est chef d’entreprise et c’est ce qui est intéressant. C’est l’ère du défi permanent. On dort moins, on s’inquiète plus, mais on sait pourquoi on se réveille et tous les jours, on vit à 200 %. C’est ça qui m’amuse ».