Et si Angela Merkel avait été dirigeante d’entreprise?

Mettre en parallèle les actions d'Angela Merkel, femme politique à la tête de la première économie européenne, l’Allemagne, pendant 16 ans avec celle d’un dirigeant charismatique tel que l’a été Jeff R. Immelt, ancien PDG de GE apporte son lot de réflexions. Focus sur les points saillants.

Sommaire

  • Angela Merkel dirigeante d’entreprise ?
  • Quelques chiffres en plus
  • Des résultats d’abord !
  • Agir en fonction des circonstances
  • Le sens du collectif
  • Manque de vision ?
  • Une dirigeante du passé ?

Qui a dit “j’ai dirigé pendant des récessions, des bulles et des risques géopolitiques. J’ai vu au moins trois « cygnes noirs »” ?  Angela Merkel ? Non, la citation est de Jeff Immelt, ancien PDG de General Electric. Mais la chancelière allemande aurait pu la faire sienne. Ayant vécu plusieurs crises et survécu à de nombreux autres dirigeants d’Etats, Angela Merkel a décidé de prendre sa retraite après 16 ans de bons et loyaux services.

Angela Merkel dirigeante d’entreprise ?

La chancelière est d’abord à classer dans la catégorie des recordwomen, celles qui traversent crises et soubresauts. Selon une étude de PwC de 2018, la durée moyenne d’un CEO est de 5 ans (plus de 95% sont des hommes). Dans le groupe de ceux qui restent plus de dix ans “at the top” (19%), la moyenne est de 14 ans. Angela Merkel est restée 190 mois à la tête de l’entreprise Allemagne (et cela va durer tant qu’une coalition n’est pas formée). Un record. D’autant que ces années n’auront pas été de tout repos : crises financières de 2008, la guerre en Ukraine, printemps arabes, guerre civile en Syrie et crise du terrorisme islamiste, montée des populismes avec le Brexit, Trump, Erdogan et Orban, crise des réfugiés en Europe et, last but not least, pandémie mondiale de Covid19 en 2020 et 2021.

Angela Merkel

Quelques chiffres en plus

Durant ses quatre mandats successifs à la tête de l’exécutif allemand, Angela Merkel aura vu passer de nombreux présidents comme l’illustre une infographie très parlante de Statista. En détail, les chiffres ont de quoi donner le tournis. Si elle n’a rencontré que deux présidents chinois pendant sa mandature, Hu Jintao et Xi Jinping, depuis huit ans et demi à la tête de la Chine, et deux Premiers ministres indiens seulement, Manmohan Singh et Narendra Modi, toujours en poste, elle a eu affaire avec quatre  présidents américains, -Georges W Bush, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden-, autant qu’avec les têtes de l’Etat français. Jacques Chirac était président depuis deux ans lorsque sa formation a gagné les élections législatives en 2005. Elle a ensuite vu passer Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron à l’Elysée. Pour ce qui est du 10 Downing Street, Angela a serré les mains de cinq Premier ministres anglais (avant que le Covid-19 ne s’en mêle et qu’on se donne du coude), dont une femme, Teresay May. Avec la Corée du Sud, se sont cinq chefs d’Etat. Cela ne se corse qu’avec l’Italie et le Japon où se sont succédé pendant ses seize années à la Chancellerie, quelque neuf Premiers ministres pour chacun des pays. C’est dire la longévité d’Angela Merkel à la tête de d’une grande démocratie comme l’Allemagne… Faut-il ajouter qu’elle n’a pas été élue par le suffrage universel direct ?

Des résultats d’abord !

“Faites simplement de votre mieux. On doit apprendre à s’évaluer sur les progrès réalisés et non pas vis-à-vis d’un état de perfection. La perfection est impossible aujourd’hui”, explique Jeff R. Immelt (qui fut débarqué par son conseil d’administration après 16 ans de règne). La première qualité d’un dirigeant tenace est sa capacité à résoudre les problèmes. Angela Merkel ne déroge pas à la règle. “Wir schaffen das!” (Nous pouvons le faire !) était sa rengaine favorite. Pour Tony Blair, cité dans le documentaire Angela Merkel – Navigating a World in Crisis, “c’est (d’abord) quelqu’un qui résout les problèmes”. On lui a souvent reproché d’être plus une “manageuse” qu’un leader comme le soulignait un article du Süddeutsche Zeitung de 2012.

“Faites simplement de votre mieux. On doit apprendre à s’évaluer sur les progrès réalisés et non pas vis-à-vis d’un état de perfection. La perfection est impossible aujourd’hui”.  Jeff R. Immelt, ancien PDG de General Electric

Agir en fonction des circonstances

Mais il faut aussi parfois être capable de se remettre en question et prendre des décisions rapides. Sur certains dossiers, Angela Merkel a su changer et agir malgré une opinion publique hostile. En 2011, après la catastrophe de Fukushima, elle décide de tourner le dos au nucléaire, l’une des volte-face les plus spectaculaires de la politique allemande. En 2015, elle ouvre les frontières de son pays à un million de réfugiés en provenance de Syrie et d’Irak, la seule à le faire en Europe. Pragmatisme et sens tactique vont ainsi de pair chez les dirigeants au long cours.

Le sens du collectif

Cependant, la chancelière ne “manage” pas en solitaire. Elle ne se laisse pas aveugler par son égo et sait rester prudente. Cette partisane du consensus -qu’exigent le fédéralisme et la culture d’après-guerre- a toujours privilégié le dialogue avec les membres de son équipe et n’hésite pas à déléguer, notamment à ses ministres des Finances successifs. Wolfgang Schäuble a ainsi été l’un de ses ministres les plus populaires. “Elle met les gens les uns avec les autres plutôt que de les diviser”, témoigne la reine Rania de Jordanie dans le même documentaire cité plus haut. Pour Richenda Broadbent du cabinet Korn Ferry, “Mme Merkel a constamment maîtrisé son ego et a fait preuve d’un style de leadership au service des autres”. Ce qui ne l’empêche pas de traîner une réputation de “tueuse en série”. Après avoir tué son père en politique, Helmut Kohl, et écarté son rival Wolfgang Schäuble, Angela Merkel se débarrassera de nombreux hommes politiques qui l’avaient un peu sous-estimée. “Pour être restée plus d’une décennie à la tête de la première puissance économique européenne, il faut en avoir éliminé plus d’un. Ce que fit Mutti. Calmement, silencieusement, efficacement”, explique Marion Van Renterghem dans sa biographie “C’était Merkel” qui vient de sortir aux éditions Les Arènes.

“Elle met les gens les uns avec les autres plutôt que de les diviser ».  Rania, Reine de Jordanie

Un manque de vision ?

A l’instar de Henri de Castries, PDG de 2000 à 2016 du groupe AXA, Angela Merkel décide elle-même de se retirer. Le dirigeant français explique qu’il veut passer les rênes à une nouvelle génération plus à même de mener le plan de transformation numérique de l’entreprise. En revanche, la chancelière n’a pas donné de feuille de route à la prochaine équipe dirigeante. Et ce manque de vision stratégique lui est souvent reproché.

The Economist dresse un bilan très sévère de son action (“Le désordre laissé par Merkel”), écrivant que “l’Allemagne a l’air d’une voiture de luxe qui ronronne; mais si l’on ouvre le capot, les signes de négligence sont évidents”. Le Wall Street Journal regrette sa complaisance vis-à-vis de la Chine communiste. Pour la journaliste Meike Laff dans Die Zeit, Angela Merkel n’a pas préparé l’Allemagne aux défis du numérique. La chancelière aurait donc été une piètre manageuse de la transition digitale. Son bilan en ce domaine est bien pauvre, explique-t-elle. Absence de stratégie, effets d’annonce non suivis d’effet, processus de décision trop lent, manque de volontarisme…

Une dirigeante du passé ?

Dans la conclusion de son étude sur Angela Merkel, Korn Ferry souligne que ce qui a permis la longévité de la chancelière n’est peut-être plus suffisant pour garantir les prochains succès. Les CEOs du futur devront “arbitrer entre les besoins d’une multitude d’acteurs au lieu de donner la priorité à un seul groupe (les électeurs, dans le cas de Mme Merkel, ou les investisseurs, pour un PDG)”. Pour Evelyn Orr, directrice de l’Institut Korn Ferry, “les PDG les plus efficaces et les entreprises les plus performantes auront un état d’esprit complètement différent ». Ce qui est certain, c’est que la chancelière laissera un vide. “Elle était un repère dans un monde angoissant. Son départ nous inquiète car il nous fragilise. Une digue est rompue », s’inquiète Marion Van Renterghem.

“Elle était un repère dans un monde angoissant. Son départ nous inquiète car il nous fragilise. Une digue est rompue ». »Marion Van Renterghem, grande reporter et auteure de la biographie « C’était Angela Merkel »

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