Reportage : “C’estpasdemainlavieille”, le défilé sauvage de la Fashion Week

Pour changer les regards, bousculer les codes et gagner en visibilité, une dizaine de femmes de plus de 50 ans se sont invitées là où on ne les attendait pas : à la Paris Fashion Week, sous l’oeil bleu avisé de l’artiste Sandrine Alouf, atmosphériste et photographe, à l’initiative du projet “C’est pas demain la vieille”. Reportage.

Sommaire

    • « C’est pas demain la vieille » en marge des défilés
    • L’invisibilité des femmes après 50 ans
    • Une guérilla esthétique
    • S’emparer du sujet de l’âgisme avec ironie
    • Le défilé sauvage: une méthode efficace ?

 

Pour changer les regards, bousculer les codes et gagner en visibilité, une dizaine de femmes de plus de 50 ans se sont invitées, mardi 27 septembre, là où on ne les attendait pas : à la Paris Fashion Week, sous l’oeil bleu avisé de l’artiste Sandrine Alouf, atmosphériste et photographe, à l’initiative du projet “C’est pas demain la vieille”. Reportage.

« C’est pas demain la vieille » en marge des défilés

Dans l’hôtel parisien quatre étoiles Le Pradey, investi pour les préparatifs, un joyeux remue-ménage est à l’œuvre. À tour de rôle, les filles sont maquillées, coiffées et stylisées pour s’inviter là où on ne les attend pas : à la sortie du défilé d’une grande marque. “Allons mettre le désordre devant Dior !”, s’exclame Marc Ronzier, “un vieux de la mode”, depuis le canapé bleu roi. 

Il organise ce défilé sauvage aux côtés de l’artiste Sandrine Alouf, tantôt agenouillée sur la moquette pour dessiner au feutre rouge la pancarte d’Anne, qui a pu se libérer à la dernière minute, tantôt distribuant les flyers de “C’estpasdemainlavieille”, son projet de parodie de photos de mode avec des femmes de plus de 45 ans pour “changer les regards sur la vieillesse”.

L’invisibilité des femmes après 50 ans

Ce mardi 27 septembre, le message est le même que celui de son projet : en finir avec la disparition des femmes à mesure que le temps passe, notamment dans la mode. “C’est la Fashion Week et il était hors de question que cette invisibilité ne soit pas martelée”, défend Sandrine avec l’entrain qui la caractérise. “Il faut qu’on arrête avec ce jeunisme perpétuel qui n’a pas lieu d’être et qui fait de la peine à tout le monde”, assène-t-elle depuis le salon où se trouvent les maquilleurs. Car à chaque étage, sa préparation : les maquilleurs au premier, la coiffure et l’habillage au troisième.  

Il est presque 14 heures. Dans la chambre, rendue trop petite par le nombre de ses occupantes, les futures mannequins tentent de se frayer un chemin pour accéder à la salle de bain. Elles y enfilent le t-shirt “C’estpasdemainlavieille”, puis les coiffes créées par la styliste turque Eli Peacock. D’une main de fée, elle s’affaire justement aux dernières retouches : “Laisse-moi voir le risque, laisse-la tomber”, explique-t-elle en anglais à Victoria Marchal, à la coiffe aux plumes noires encore instable, ce qui ne l’empêche pas de fredonner “J’ai pas l’physique des magazines”, sur l’air de Ben l’oncle Soul. “C’est bon, moi je suis fixée”, lance-t-elle ensuite à Sandrine avec satisfaction.

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Une “guerilla” esthétique

L’heure du départ approche : chaque participante se découvre mutuellement et reçoit une pluie de compliments. “On dirait qu’elles étaient toutes destinées à une personne”, s’exclame même l’une d’entre elles. Toutes sont prêtes pour ce que Marc Ronzier, 54 ans, qualifie de “guerilla”, au sens d’une “mini révolution esthétique”. Pour lui, les femmes de plus de 50 ans “sont toutes sublimes. Elles peuvent être les égéries de marques comme Balenciaga ou Louis Vuitton”, défend-il. “Nous sommes belles, nous sommes importantes, nous avons encore plein de belles choses à faire”, abonde Tina Jarry, 60 ans. 

Et c’est ce que “ces femmes formidables”, selon les mots de Sandrine Alouf, entendent montrer en manifestant à la sortie d’un événement mondialement suivi. Sous un soleil accueilli avec enthousiasme, le groupe avance d’un pas décidé dans les rues du 1er arrondissement de Paris, direction le Jardin des Tuileries. Le coup de projecteur sur l’invisibilité des femmes de plus de 50 ans est en marche : elles interpellent les passants, tout sourires lorsqu’ils croisent cette bruyante troupe,  elles chantent en chœur “C’est pas demain la vieille” sur l’air de différentes musiques, ou elles scandent “On n’est pas invisibles” etLes médias, on est là !”.

S’emparer du sujet de l’âgisme avec ironie

Requête justement entendue, dans un heureux hasard, par un journaliste du média Brut qui passait à côté du cortège. De quoi contenter ce défilé sauvage puisque comme le rappelle Natacha Dzikowski, une participante de 58 ans, “c’est une façon positive de donner de la visibilité à un combat. Il faut se marrer avec un sujet grave”.  À savoir l’âgisme qui, selon elle, “ostracise les gens alors que l’âge fait intégralement partie de la vie. Or nous confondons toujours être vivant et être jeune”, déplore celle qui, une fois à la sortie du défilé Dior, alerte ses coéquipières lorsqu’une personne influente s’avance devant la foule de spectateurs.  

Avec fierté, les femmes présentes parviennent notamment à se faire prendre en photo avec Maye Musk, mannequin de 74 ans et mère d’Elon Musk. Puis, à l’arrivée de la youtubeuse Léna Situations, qui attire aussitôt tous les flashs des photographes, elles n’hésitent pas à scander son nom pour lui faire connaître l’initiative, elle qui confie qu’elle ne la “connaissait pas du tout”. 

« L’âgisme ostracise les gens alors que l’âge fait intégralement partie de la vie. Or nous confondons toujours être vivant et être jeune. » Natasha Dzikowski, une participante de 58 ans au « Défilé Sauvage »

Le défile sauvage: une méthode efficace ?

Ces femmes de plus de 50 ans voleraient presque la vedette aux fashionistas, modèles et mannequins, suscitant quelques soupirs : un moment “gâché” pour certains, une initiative essentielle pour d’autres. “Je suis tombée dessus et c’est super intéressant, raconte en ce sens *Claire, modèle. L’âgisme est inscrit dans le patriarcat et c’est pour ça que c’est important qu’elles se battent”, analyse-t-elle.

Peu de temps avant de quitter les sourires et les téléphones dégainés, Sandrine Alouf confie, légèrement essoufflée à force d’élever la voix : “On met l’ambiance, c’est génial, j’adore”, se réjouit-elle. Après une vingtaine de minutes sur place et tandis que la pluie s’invite, les filles s’éloignent pour de nouveau laisser la place au calme. Sur le chemin du retour, le groupe de mannequins est unanime : le happening a été un succès. Et il a donné des idées à Sandrine, qui confie dans un rire : “Je crois que je vais faire ça toute ma vie”.

 

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