Sommaire
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Être femme active ou mère au foyer au Japon: le dilemme
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Cynthia Usui repart de zéro après sa maternité
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À la rescousse des mères célibataires japonaises
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Diversité et leadership féminin
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A 63 ans, Cynthia Usui dirige la chaîne d’hôtels LOF à Tokyo. Après avoir élevé sa fille, elle décide de reprendre un job. Ce parcours inhabituel au Japon, elle le partage dans des livres à succès mais aussi dans ses séminaires. Elle est aussi devenue une influenceuse officielle de la plateforme LinkedIn. Elle veut ainsi redonner espoir aux mères japonaises qui veulent suivre ses pas et leur fournir des clés pour revenir sur le marché de l’emploi . Son crédo : s’adapter, apprendre et rester ouverte à toutes les opportunités qui se présentent. Interview exclusive avec Johann Fleury.
Être femme active ou mère au foyer au Japon: le dilemme
Johann Fleuri : Vous êtes arrivée au Japon dans les années 80 : quel était le contexte ?
Cynthia Usui : Je suis Philippine et dans mon pays de naissance, les femmes combinaient déjà travail et éducation des enfants. En arrivant au Japon, j’ai découvert une autre réalité : celle des femmes qui arrêtent de travailler pour élever leurs enfants. Je me suis mariée. Je travaillais dans la pub, je gagnais bien ma vie. Mais quand j’ai eu ma fille, j’ai pris la décision d’arrêter ma carrière pour l’élever.
Etait-ce un choix compliqué ?
CY : En 1985, c’était l’année où le Japon a entériné la loi pour l’égalité de l’emploi : je prenais donc le contre-pied de ce qui s’amorçait. Si l’on choisissait de poursuivre une carrière, on était une mauvaise mère, mais si on restait à la maison pour ses enfants, on n’était pas productives, pas utiles à la société. Quoique l’on décide, ce n’était jamais bien : où est la diversité lorsque l’on juge les femmes ainsi ?
Cynthia Usui repart de zéro après sa maternité
Et vous voulez reprendre une activité après un break de dix-sept ans?
CY : J’ai voulu reprendre le travail quand ma fille est entrée à l’Université. Quand on a quitté un poste un an ou deux ans, on peut rattraper son retard mais pas après un break de plus de 5 ans. Je savais donc qu’il me faudrait repartir de zéro. J’aime apprendre de nouvelles choses. C’est l’une de mes forces : je peux aller partout et m’adapter n’importe où. Je suis rentrée au Japon en 2011 après plusieurs années aux Etats-Unis et en Thaïlande.
J’avais 52 ans, personne ne voulait me donner ne serait-ce qu’un entretien. J’ai pris ce que j’ai pu : j’ai travaillé à temps partiel en tant que caissière en supermarchés. Puis j’ai découvert l’hôtellerie en 2013, au moment du boum du tourisme: soyons clair, j’ai choisi mon emploi en fonction des opportunités pas de mes envies. Il faut aussi accepter de commencer au bas de l’échelle pour faire ses preuves et grimper les échelons plus vite.
Pourtant le Japon fait face à une pénurie de main-d’œuvre ?
CY : Oui, il y a donc du travail pour tout le monde. Les personnes qui participent à mes séminaires apprécient mon honnêteté, je les bouscule dans leurs certitudes, je suis dure mais je dis la vérité. Beaucoup de femmes veulent travailler en tant que fonctionnaires mais ces postes n’existeront plus. Il faut aller là où le travail se trouve.
La réponse à la pénurie de main d’oeuvre n’est pas dans l’immigration : il faut d’abord augmenter les salaires et rendre les conditions de travail plus attractives. Si la pénurie persiste, l’immigration est un levier mais ce n’est pas le principal je pense.
“Au Japon, les plus jeunes n’ont pas envie de devenir leaders. Je leur dis qu’elles ont tort. Je pensais comme elles à leur âge, puis j’ai réalisé qu’à moins de devenir leader, je ne pouvais pas changer grand-chose. Il faut d’abord prendre le pouvoir.” Cynthia Usui, dirigeante des hôtels LOF
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À la rescousse des mères célibataires japonaises
Vous aidez particulièrement les mères célibataires.
CY : Elles veulent être aidées et méritent de l’être. Mais un poste en entreprise représente des contraintes et je pense que le gouvernement doit prendre des responsabilités car toutes les entreprises n’ont pas les capacités d’intégrer ces femmes qui doivent pouvoir s’absenter si un enfant est malade, par exemple. Il y a encore tellement de femmes qui tombent. Je veux les aider à se relever. Je suis plus intéressée par venir en aide à ces femmes plutôt que d’essayer d’aller briser le plafond de verre.
Diversité et leadership féminin
Selon vous, quelles solutions pour le leadership féminin japonais ?
CY : Le problème du leadership féminin japonais est qu’il n’y a pas assez de diversité dans les profils. Elles travaillent comme les hommes, elles donnent tout au travail et deviennent leaders ainsi : elles n’ont donc qu’un point de vue. Au Japon, s’il y a une femme, on considère qu’il y a diversité mais non, c’est juste une différence de genre, ce n’est pas une expérience ou une opinion différente.
Aujourd’hui, il n’y a pas de diversité véritable et c’est pour ça que c’est si long à changer. Au Japon, les plus jeunes n’ont pas envie de devenir leaders. Je leur dis qu’elles ont tort. Je pensais comme elles à leur âge, puis j’ai réalisé qu’à moins de devenir leader, je ne pouvais pas changer grand-chose. Il faut d’abord prendre le pouvoir.