Sommaire
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Le Covid-19 et les inégalités femmes / hommes
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Les femmes minoritaires dans les processus de décision
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Le droit à l’avortement menacé
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L’opportunisme politique des gouvernements conservateurs
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- Amandine Clavaud. Crédit : Guillaume Touati
Entrée il y a près de dix ans à la Fondation Jean-Jaurès, Amandine Clavaud y est aujourd’hui directrice des études et directrice de l’Observatoire égalité femmes hommes. A la suite de la pandémie de Covid-19, elle a écrit l’essai Droits des femmes : le grand recul (L’Aube / Fondation Jean-Jaurès), réédité le 3 mars et initialement paru il y a un an. L’autrice de cet ouvrage pédagogique nourri de chiffres éclairants répond à nos questions.
Le Covid-19 et les inégalités femmes / hommes
Informelles : Quel est le message clé de votre essai, en quelques mots ?
Amandine Clavaud : Que le Covid-19 a eu un double effet : il a mis en lumière plus fortement les inégalités entre les femmes et les hommes, et il les a accentuées.
Quels ont été les effets genrés de la crise sanitaire que vous développez dans votre livre ?
A.-C. : Ce que je montre dans l’essai, c’est que la crise sanitaire a eu un impact dans tous les domaines de la vie des femmes. Que ce soit l’amplification des violences sexistes et sexuelles, l’impact sur l’accès à la contraception et le droit à l’avortement, ou la question de l’emploi (NDLR l’essai souligne entre autres qu’ « au niveau mondial, les femmes ont perdu plus de 64 millions d’emplois en 2020, soit une perte de 5 %, contre 3,9 % pour les hommes, comme le rappelait Oxfam dans un rapport en juin 2021 »). De plus les métiers du care, en première ligne, sont principalement occupés par des femmes.
Les femmes minoritaires dans les processus de décision
Pourtant les femmes ont été minoritaires dans les différents processus de décision, comme vous le dénoncez dans votre ouvrage…
A.-C. : A l’échelle mondiale, les femmes représentent 70% du personnel de santé et des services sociaux. Elles ont donc géré la crise sanitaire mais cela ne s’est pas retrouvé dans les processus décisionnels. Par exemple, on ne compte au sein de l’Union européenne que 30% de femmes ministres de la Santé. Pendant la crise, seules deux femmes siégeaient au Advisory Panel on Covid-19 de la Commission européenne. En France, seules deux femmes étaient présentes – Lila Bouadma, réanimatrice, et Laëtitia Atlani-Duault, anthropologue – sur onze membres du Conseil scientifique Covid-19.
Vous alertez sur le fait que les femmes ont été « les grandes oubliées des plans de relance où les mesures ne traitent pas spécifiquement de l’impact différencié que la crise a eu sur l’emploi pour elles ». Quelles seraient les solutions ?
A.-C. : D’abord quand on veut lutter contre les inégalités femmes / hommes, il faut considérer ce sujet de manière transversale, en intégrant les questions de genre dans l’ensemble des politiques publiques. L’autre élément nécessaire serait une budgétisation sensible au genre, en mettant en place notamment la question de l’éga-conditionnalité. C’est un outil proposé par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, depuis plusieurs années : il s’agit de conditionner les financements publics à la prise en compte des questions d’égalité femmes / hommes.
« Le Covid-19 a eu un double effet : il a mis en lumière plus fortement les inégalités entre les femmes et les hommes, et il les a accentuées. » Amandine Clavaud, directrice des études de la Fondation Jean-Jaurès
Le droit à l’avortement menacé
Vous consacrez une partie de votre essai aux droits sexuels et reproductifs pendant la pandémie et les confinements…
A.-C. : Au niveau mondial, 12 millions de femmes ont connu des perturbations dans leur prise en charge auprès des services de planification familiale, ce qui aurait induit 1,4 million de grossesses non désirées.
Quels facteurs expliquent ce chiffre ?
A.-C. : Notamment une réduction des consultations par les femmes par peur d’attraper le Covid, un allongement des délais de prise de rendez-vous faute de soignants, en partie redirigés vers les unités dédiées à la lutte contre le coronavirus. S’ajoutent des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement, des ruptures de stock de certains médicaments, en raison de la dépendance de l’UE et de la communauté internationale vis-à-vis de la Chine et l’Inde où les produits contraceptifs, abortifs et de santé maternelle sont principalement fabriqués… De plus, la fermeture des frontières a empêché l’accès pour certaines femmes à des IVG tardives en se rendant dans un pays frontalier où la législation est moins restrictive.
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L’opportunisme politique des gouvernements conservateurs
Vous évoquez aussi l’instrumentalisation de la crise sanitaire par des gouvernements conservateurs…
A.-C. : La pandémie a constitué pour certains gouvernements conservateurs un moyen, par opportunisme politique, de restreindre plus encore les droits et la santé sexuels et reproductifs des femmes, considérant le recours à l’IVG comme une intervention « non essentielle ». Le cas le plus emblématique est la Pologne, où le parti Droit et Justice a mis en avant un projet de loi qui visait à interdire presque totalement l’accès à l’IVG. Cela a provoqué la mobilisation de la société civile, y compris durant les confinements. Par exemple les femmes manifestaient dans leurs voitures, sur leurs balcons… Malheureusement cette loi a été validée en janvier 2021. (NDLR l’IVG y est désormais autorisée uniquement en cas de viol, à prouver, d’inceste, ou de mise en danger de la vie de la femme. L’ouvrage précise qu’ « en 2019, 98 % des avortements en Pologne concernaient la malformation du fœtus, une condition qui n’est aujourd’hui plus légale »).
Parution : 03/03/2023
Nombre de pages : 88
Format : Poche
Prix : 8,90 €