Sommaire
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Héloïse Luzzati et l’association « Elles Women Composers »
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Les femmes compositrices, grandes oubliées de l’histoire de la musique
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« Un temps pour elles », le festival pour jouer leurs partitions disparues
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Soutiens et inspirations d’Heloïse Luzzati
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Les rendez-vous du printemps et de l’été 2022
Rencontre avec Héloïse Luzzati, violoncelliste et fondatrice de l’association Elles Women Composers, un collectif d’artistes qui a pour mission de redonner de la lumière aux compositrices des XIXème et XXème siècles. Celui-ci est au service de la recherche, de la lecture et de la sauvegarde des partitions de leurs œuvres oubliées. Le travail de restitution au public se traduit par des vidéos « découverte » des compositrices sur leur chaîne Youtube « La boîte à pépites » et un label qui sort son premier disque, sur Charlotte Sohy, en avril 2022. Mais aussi, et surtout, un grand concert au Théâtre des Champs-Elysées le 8 mars prochain, avec plusieurs têtes d’affiche, tels que Philippe Jaroussky, Elsa Dreisig, Stéphane Degout pour les chanteurs, le quatuor Modiglliani, le trio Wanderer, Célia Oneto Bensaid et tant d’autres qui joueront des partitions de plusieurs compositrices romantiques. Enfin un grand festival d’été « Un temps pour elles » qui revient du 10 juin au 10 juillet 2022, dans plusieurs sites historiques du Val d’Oise.
Héloïse Luzzati et l’association « Elles Women Composers »
Qu’est-ce que Elles Women Composers?
H.L. : L’association Elles Women Composers c’est à la fois une association d’un point de vue juridique mais c’est, de cœur, un collectif d’artistes. On cherche des partitions, des premières éditions, des manuscrits, certains sont recopiés pour qu’ils soient plus lisibles. L’idée est de remettre en circulation des oeuvres de compositrices, pas parce qu’elles ont été composées par des femmes mais parce que ce sont des chefs d’œuvre qui ont été évincés de l’histoire de la musique.
Pourquoi Elles Women Composers?
H.L. : C’est parti d’un constat: comment est-ce possible qu’en 25 ans de vie de violoncelliste, je n’aie pas joué d’œuvre de compositrice? Comment ça se fait? Quelle est l’explication? Et de là une curiosité devenue de plus en plus grande d’arriver à comprendre puis de voir si effectivement il n’y avait pas de compositrices – ça je savais que ce n’était pas le cas- mais si’il y avait aussi toute une part de l’histoire de la musique qui ne nous avait pas été enseignée.
Sur quelle époque travaillez-vous?
H.L. : On est principalement axé sur le XIX et XX siècle parce que les archives sont plus accessibles et puis c’est une histoire d’affinité de période en tant que musicienne. Je suis plus attirée par cette période romantique et post-romantique.
Comment retrouvez-vous ces partitions?
H.L. : Pour retrouver des partitions ça fonctionne de deux manières, avec deux axes principaux. Le premier c’est les bibliothèques, par exemple la BNF (Bibliothèque Nationale de France), ce qui est pour nous en tant que français l’accès le plus facile, car on y va et on peut y numériser et scanner des partitions en accord avec la BNF. C’est le premier axe. Le deuxième axe est quand les œuvres ne sont pas répertoriées dans des bibliothèques en France et à l’étranger. La difficulté est de trouver des descendants des compositrices pour savoir si eux ont conservé des fonds chez eux. Ce qui est souvent, et heureusement, le cas.
« L’idée c’est de remettre en circulation des oeuvres de compositrices, pas parce qu’elles ont été composées par des femmes mais parce que ce sont des chefs d’œuvre qui ont été évincés de l’histoire de la musique. »Heloïse Luzzati, violoncelliste et fondatrice de Elles Women Composers
Les femmes compositrices, grandes oubliées de l’histoire de la musique
Pourquoi les compositrices disparaissent?
H.L. : Il est difficile d’avoir une raison qui l’expliquerait de manière unilatérale. Si je prends l’histoire de la musique que j’ai sur mon bureau depuis que je suis adolescente, jeune étudiante, il n’y a pas de compositrices dedans. C’est-à-dire qu’elles n’ont pas été recensées dans les dictionnaires, dans les encyclopédies de la musique. Ce qui fait que rien qu’avec cet élément-là, elles n’ont pas eu la possibilité de perdurer. Après j’ai pu remarquer que, et ce n’est pas vrai pour toutes les compositrices, mais c’est un trait assez fort, quand une compositrice n’est plus là pour faire vivre son œuvre, quand elle est décédée, il n’y a pas un relais immédiat. Je prends en exemple un compositeur comme Camille Saint-Saëns. Quand il est mort, toute son œuvre, sa correspondance, ses manuscrits, presque tout est allé en bibliothèque. On y a accès à un moment ou un autre.
Dans le cas des compositrices, même si elles ont eu du succès de leur vivant, – et j’aime prendre l’exemple de Louise Farrenc qui avait énormément de reconnaissance de son vivant, sa musique était jouée, sa musique était éditée -, c’est complètement différent. Dans le dictionnaire universel, quelques années avant sa mort, on peut lire qu’on lui prévoit un brillant avenir dans l’histoire de la musique. Or quelques années après son décès, dans ce même dictionnaire, il n’est plus écrit que “professeure au conservatoire”. Donc en quelques années, elle n’était plus que professeure, elle n’était plus compositrice. Et c’est comme ça qu’elles disparaissent de l’histoire de la musique, très simplement.
« Un temps pour elles », le festival pour jouer leurs partitions disparues
Comment leur redonner de la lumière?
H.L. : Pour ça on a crée un festival, “Un temps pour elles”, en 2020, dont c’était la deuxième édition cet été. Ce sera la troisième édition en 2022. Un festival pour pouvoir les programmer, au moins une fois. Il y a le festival d’une part et d’autre part on a créé une chaîne vidéo, en 2020 également, qui s’appelle « La boîte à pépites”. C’est une chaîne avec une soixantaine de vidéos aux formats très variés qui vont du documentaire de cinq minutes à des courtes captations, un calendrier de l’avent numérique qui ressemble à un festival digital. Plein de formats pour faire découvrir ces vies de compositrices et ces oeuvres à un public le plus large possible. Ça ne s’adresse pas qu’à des gens ultra spécialistes de la musique, au contraire. L’étape suivante de ces vidéos est d’aller plus loin avec la création d’un label discographique dans ces prochains mois avec un premier triple disque qui sortira le 22 avril. en physique et digital, qui sera consacré à la compositrice Charlotte Sohy.
Soutiens et inspirations d’Heloïse Luzzati
Par qui l’association est-elle soutenue?
H.L. : Si l’association peut se développer aujourd’hui c’est en premier lieu grâce au soutien de la DRAC d’Ile de France (donc le ministère de la Culture) qui a très rapidement, immédiatement d’ailleurs, soutenu ce projet. Sans eux les autres soutiens n’auraient pas suivi: la région, le département du Val d’Oise qui nous accueille à bras ouverts pour le Festival d’été (Un temps pour elles). On a aussi trois soutiens privés très importants: la caisse des dépôts, la Fondation Lazard et la fondation Etrillard.
Avez-vous un modèle?
H.L. : Il y a une institution en France et en Italie qui s’appelle Bru Zane et fait de la recherche sur la musique romantique française et ils font un travail absolument incroyable. C’est un modèle pour moi.
En trois mots, qu’est-ce qui vous fait avancer?
H.L. : La curiosité me permet d’avancer l’envie d’en connaître plus et d’en savoir toujours plus. L’amitié c’est quelque chose de compliqué dans les métiers artistiques, pour autant cela permet d’aller plus vite plus loin, quand on est plusieurs. Je trouve que monter des projets comme ça de grandes envergures, ça rend très seul. C’est important de pouvoir les partager. Ma récompense de tout ce travail c’est quand on déchiffre la musique et on se dit, “qu’est-ce que c’est incroyable ce qu’on vient de lire!”. Mon troisième, c’est la musique, tout court.
Les rendez-vous du printemps et de l’été 2022
Quels sont vos prochains événements?
H.L. : Il y a cette date au Théâtre des Champs Elysées, le 8 mars 2022 où on pourra trouver pléthore de merveilleux artistes. C’est un concert consacré à des compositrices françaises. Beaucoup des œuvres qui sont données dans ce concert sont très rares. Certaines n’ont probablement jamais été redonnées en concert depuis la mort de leur compositrice. Il y aura Philippe Jaroussky, Elsa Dreisig, Stéphane Degout pour les chanteurs, le quatuor Modiglliani, le trio Wanderer, Célia Oneto Bensaid, Xavier Phillips, Lauriane Corneille. Une création d’une compositrice toute jeune, qui s’appelle Lise Borel, qui a écrit toute un cycle de mélodies sur des poèmes d’Alicia Gallienne. J’en oublie, on est plein.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le Festival “Un temps pour elles”?
H.L. : Le festival cet été aura lieu du 10 juin au 10 juillet, en décalé par rapport à l’année dernière. Dans les lieux, il y aura l’abbaye de Royaumont, le domaine de Villarceaux, l’abbaye de Maubuisson. Voilà pour les sites principaux. Et dans quelques semaines, on pourra découvrir la programmation sur notre site internet.
Plus d’infos sur : www.festival-untempspourelles.com/