Sommaire
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Seol Song-a, entrepreneure en Corée du Nord
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« S’acheter un bon mari »
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Remise en question de l’ordre patriarcal
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Les entrepreneuses, premières victimes du régime
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Reprise en main idéologique de la part de Kim Jong-un
Seol Song-a, entrepreneure en Corée du Nord
Depuis vingt ans, “les entrepreneuses sont l’épine dorsale de l’économie privée” nord-coréenne, analyse le Financial Times dans une enquête sur l’un des pays les plus secrets au monde.
Le quotidien britannique se penche sur le cas de Seol Song-a, “née à la fin des années 1960 (qui) a grandi dans la pauvreté et la faim dans la ville industrielle de Sunchon, au nord de Pyongyang”. Sa vie a changé au début des années 1990 -la période de la famine. Elle a commencé à vendre de la pénicilline volée dans l’usine pharmaceutique où travaillait sa mère. Puis “à produire elle-même des médicaments, embauchant plusieurs employés et soudoyant des fonctionnaires pour la protéger des arrestations”.
« S’acheter un bon mari »
Originaire d’une famille qui était du mauvais côté de la barrière, elle choisit de s’acheter un “bon mari” qui lui permettra de se connecter avec la classe dirigeante. Avec son argent et ses relations, elle s’achète une maison et la transformer en une usine de confiserie. Il y a dix ans, elle finit par s’exiler et s’installer en Corée du Sud.
« Plus vous accumulez, plus vous serez exploité », Joanna Hosaniak, Alliance des citoyens pour les droits de l’homme en Corée du Nord
Remise en question de l’ordre patriarcal
Seol Song-a fait partie de ces milliers d’entrepreneuses qui ont permis à la Corée du Nord de survivre alors que l’Etat était en quasi-faillite, “une nouvelle classe d’entrepreneuses, contribuant à la croissance économique, prenant la responsabilité de nourrir la société nord-coréenne et remettant en question les rôles traditionnels des hommes et des femmes”, explique le Financial Times. Les femmes dominent aujourd’hui le secteur informel qui représente 70% de l’économie d’un pays patriarcal et machiste.
Traditionnellement, “l’État et la société attendaient des femmes qu’elles se marient, et leurs rations alimentaires étaient ensuite attribuées au mari, qui est enregistré comme le « maître de maison », analyse le quotidien des affaires britannique. Mais leur statut dévalorisé leur a paradoxalement permis de se forger une place centrale dans l’économie informelle du pays. Cela leur a donné plus de poids vis-à-vis de leurs homologues masculins.
“En 2020, il y a au moins 436 marchés officiels -autorisés en 2002- comptant chacun jusqu’à 20 000 étaux gérés exclusivement par des femmes et générant des revenus annuels d’environ 57 millions de dollars pour le gouvernement”.
Kim Jong-un, dirigeant de Corée du Nord Photo par KCNA/UPI/ABACAPRESS.COM
Les entrepreneuses, premières victimes du régime
Elles sont aussi la majorité des exilés fuyant le régime totalitaire. Près de 81% des Nord-Coréens arrivés en Corée du Sud en 2019 étaient des femmes, seulement 12% en 1998. Elles financent ainsi les proches restés au pays.
Celles qui restent sont les plus exposées. Ce sont ainsi les principales victimes de la fermeture que subit la Corée du Nord depuis le début de la pandémie en 2020. Leurs succès et pouvoir économique les ont rendu plus vulnérables vis-à-vis du système. En 2014, l’ONU accuse « les agents de police sur les marchés, les inspecteurs dans les trains et les soldats” de commettre des agressions sexuelles. “L’État, dominé par les hommes, (s’attaque) au marché, de plus en plus dominé par les femmes », résume le Financial Times.
Reprise en main idéologique de la part de Kim Jong-un
Depuis deux-trois ans, Kim Jong-un a décidé d’une reprise en main idéologique. L’objectif est de forcer les femmes à se conformer à un idéal patriarcal, “porter des vêtements traditionnels, écrire des lettres d’encouragement aux soldats et protéger les enfants contre l’idéologie, la culture et les modes de vie étrangers”. Alors même qu’elles se marient plus tard, ont moins d’enfants et semblent plus intéressées par l’aventure entrepreneuriale…
La période de semi-liberté et d’émancipation, ouverte dans les années 90, semble donc peu à peu s’achever. La question est de savoir comment cette classe d’entrepreneures réagira à la reprise en main par le régime.