Sommaire
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Clarisse Serre et ses rapports avec sa clientèle masculine
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Les voix des femmes avocates en plaidoirie
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Le temps de la remise en question
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Peu de modèles de femmes avocates
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- Clarisse Serre, avocate
Clarisse Serre a été classée parmi les 30 avocats « les plus puissants de France » par le magazine GQ. « Abonnée aux Gitans, truands, conjoints violents, résume de son côté le site juridique Dalloz Actualité, elle a défendu les accusés au procès des tournantes à Fontenay-sous-Bois, le cercle Wagram de jeux parisien, Michel Curtet, parrain de la coke, Michel Lepage du gang Banlieue Sud (BS) ou le clan Hornec, fratrie de caïds du crime organisé à Paris. »
Elle a publié La lionne du barreau (Sonatine éditions) en septembre 2022, en référence à son surnom. La quatrième de couverture annonce la couleur : « Je suis une femme, je fais du pénal, j’exerce dans le 9-3, et alors ? » Entretien avec cette passionnée de la défense pénale, obsédée par ce métier qu’elle exerce depuis bientôt trois décennies.
Clarisse Serre et ses rapports avec sa clientèle masculine
Informelles : Dans La lionne du barreau, vous écrivez : « Je suis confrontée à la complexité des rapports homme / femme. Souvent mes clients du sexe dit fort essaient de prendre l’ascendant. » Votre clientèle, masculine, vous semble-t-elle sexiste ?
Clarisse Serre : Quand j’ai commencé, il y a vingt-sept ans, les détenus qui voyaient arriver les femmes avocates en prison pensaient que nous étions secrétaires ou stagiaires. Ils avaient du mal à nous considérer comme des avocates à part entière. Il faut aussi se représenter le contexte : des hommes enfermés, avec ou sans visites… Mais « sexiste » n’est pas le mot approprié. Ils peuvent être dans la séduction ou la manipulation. D’autant qu’on peut être fascinée par ces voyous : beaucoup vivent dans l’instant présent, croquent la vie, pouvant tomber ou prendre une balle à n’importe quel moment… Je suis toujours restée intransigeante.
Un exemple de rapport de force ?
C.S. : J’ai à l’époque 25 ans. Mon patron (NDLR elle exerce aujourd’hui à son compte) m’envoie à Fleury-Mérogis voir un détenu assez difficile. Ce client me tend une enveloppe à remettre à sa famille, en me disant que c’est très important. Or les avocats n’ont pas le droit de faire cela : je lui rappelle qu’il y a une boîte aux lettres en prison. Il s’énerve, tape sur la porte, me traite de tous les noms. J’étais tremblotante, mais je suis restée ferme. Aujourd’hui, on ne me demande plus des trucs pareils, mais je suis amenée à dire « non ». Par exemple, quand un client détenu me téléphone au cabinet depuis un portable, je lui répète que c’est illégal et je raccroche.
Les voix des femmes avocates en plaidoirie
Dans l’imaginaire collectif, l’avocat est (malheureusement) encore un homme avec une grosse voix. Il n’y a toujours pas d’équivalent féminin à l’expression populaire « ténor du barreau ». Comment décririez-vous votre voix pendant les plaidoiries ? Quid des micros, susceptibles d’égaliser les voix ?
C.S. : Je ne peux pas ! Je suis fascinée par les voix… Mais à mon grand désespoir, personne n’est jamais venu me voir en me disant « votre voix me charme » (rires). L’enjeu concerne aussi les hommes, qui peuvent avoir une voix qui ne porte pas, ou qui est désagréable à écouter. Quant aux micros, attention il n’y en a pas partout, loin de là. Et encore faut-il apprendre à parler dedans… »
« On peut être fascinée par ces voyous : beaucoup vivent dans l’instant présent, croquent la vie, pouvant tomber ou prendre une balle à n’importe quel moment… Je suis toujours restée intransigeante. »Clarisse Serre, avocate pénaliste et auteure de « La lionne du barreau »
Le documentaire Ténoras, paroles d’avocates (Public Sénat, octobre 2022) se demande, vers la 38e minute, si les avocates et les avocats défendent différemment. Qu’en pensez-vous ?
C.S. : Il y a autant de plaidoiries que d’avocats et ces particularités font la richesse du pénaliste. Je ne vois pas de distinction spécifique entre les hommes et les femmes, mais plutôt différentes manières d’aborder un dossier. Certains ont l’esprit de synthèse, d’autres moins, certains ont du culot, d’autres moins…
Le temps de la remise en question
En 2008, à la suite d’un échec, vous songez à arrêter les assises. Heureusement, vous avez finalement continué…
C.S. : Vous faites référence à l’affaire dite de l’évasion d’Antonio Ferrara. Je défendais un des accusés pour complicité. Le parquet avait requis cinq ans, mais verdict : huit ans ferme ! Après cela, j’étais complètement effondrée. Je pleurais. J’avais tout donné et ce résultat était catastrophique. Avec le recul, je trouve ma réaction disproportionnée, mais sur le moment j’ai décidé d’arrêter les assises. J’ai continué grâce à mon client, qui m’a convaincue de le défendre en appel.
Les femmes avocates auraient-elles plus tendance que les hommes à penser qu’elles ne sont pas à la hauteur ?
C.S. : Je ne pense pas. Après avoir lu mon livre, autant de consœurs que de confères m’ont écrit pour me dire qu’ils s’y reconnaissaient. Cela dit, il n’est pas impossible que, de manière générale, les hommes en parlent moins facilement que les femmes, redoutant ce qu’ils voient (à tort) comme un aveu de faiblesse.
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Peu de modèles de femmes avocates
Vous avez été consultante sur l’excellente série française Engrenages (Canal+, 2005-2020), saisons 5, 6 et 7. Dans votre livre, vous évoquez les représentations des avocats et avocates dans les fictions…
C.S. : Dans les livres, le héros avocat est souvent soit alcoolique, soit 100 % positif… Et j’ai été élevée avec des bouquins où l’avocat est toujours un homme. Côté audiovisuel, un pas a été franchi grâce à la série américaine Damages (2007-2012) avec Glenn Close : c’était je pense la première fois qu’on voyait une avocate aussi retorse qu’un homme. Sur Engrenages, j’aime le côté incisif de Maître Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) même si on la voit tout le temps en robe dans la vie civile… Personnellement, je m’habille bien mais j’ai besoin de vêtements pratiques, pour courir de tribunal en tribunal, de gare en gare…
Avez-vous eu une rôle modèle avocate ?
C.S. : Non, le premier avocat dont j’ai entendu parler, quand j’avais 15 ans, c’était Henri Leclerc. Mes rôles modèles féminins étaient alors en dehors du droit : George Sand, Camille Claudel, Calamity Jane, Lauren Bacall… Aujourd’hui, de jeunes avocates me disent que je suis un modèle pour elles, mais je ne veux être le modèle de personne !