Sommaire
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Un monstre de la couture nippone
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L’expérience de la bombe atomique
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Paris et New York
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« Durable » et « divers » avant l’heure
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Pour les futures générations
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Le tournant de Pleats Please
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La mode au musée
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Madeleine Vionnet
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Lucie Rie
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Fusae Ichikawa
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Masako Shirasu
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Des femmes à ses côtés
Un monstre de la couture nippone
Il est rare que les grands médias japonais consacrent leur Une à un couturier. Avec la disparition d’Issey Miyake à 84 ans, ils rendent hommage à l’une des grandes figures du Japon moderne, l’un des rares Japonais dont le nom soit reconnu mondialement.
Après Kenzo Takada, c’est l’un des monstres de la couture nippone contemporaine qui quitte la scène.
L’expérience de la bombe atomique
Issey Miyake naît à Hiroshima en 1938. A 7 ans, il fait l’expérience de la bombe atomique. “Après les salutations du matin, je suis entré dans la classe et tout à coup, il y a eu un gros boom. Les vitres se sont brisées et un éclat est venu se coincer dans ma tête. J’étais tellement surpris”, témoigne-t-il cinquante après.
Paris et New York
Il veut devenir danseur mais les magazines féminins de sa sœur lui font découvrir l’univers de la mode. Après des études de design graphique, il fréquente la prestigieuse école de mode de Tokyo, Bunka Fashion College. Il part à Paris et, diplômé de l’école de la Chambre syndicale de la couture parisienne à Paris, il fait ses gammes chez Guy Laroche puis Hubert de Givenchy. Il s’installe à New York en 1969.
« Durable » et « divers » avant l’heure
De retour à Tokyo, il fonde le Miyake Design Studio l’année suivante. Sa marque Issey Miyake est lancée en 1971. Il conçoit des vêtements qui s’adaptent aux mouvements du corps, en gardant la pièce de tissu aussi intacte que possible. Bien avant l’apparition des termes durabilité et diversité, Issey Miyake fabrique des vêtements sans chutes. Il fait défiler des femmes noires, des femmes de tous âges et de toutes nationalités…
Issey Miyake en 1992 / Photo by Simon Walker/The Times/News Licensing/ABACAPRESS.COM
Pour les futures générations
C’est un innovateur, profondément influencé par le Paris de Mai 1968. Il n’aura cessé d’inventer tout au long de sa carrière. “Il disait souvent qu’il voulait transmettre un message à la jeune génération. Il a probablement continué à penser à la façon dont il pourrait le transmettre à la prochaine”, témoigne la spécialiste de la mode Izumi Miyachi dans le Yomiuri Shimbun.
Le tournant de Pleats Please
En 1993, c’est le début de la collection Pleats Please, influencée par les plis de Madame Grès (1903-1993). Elle est conçue pour des femmes en action qui veulent des vêtements qui s’adaptent à leurs corps et non le contraire. Tous les matériaux et les technologies sont sourcés au Japon. C’est un énorme succès. Dix ans plus tard, il crée le Reality Lab. pour concevoir les vêtements du 21e siècle.
La mode au musée
Il fait aussi entrer la mode dans les musées. En 1988, le Musée des Arts Décoratifs de Paris 1988 lui consacre une exposition Issey Miyake A-ŪN. En 2012, il l’un des co-fondateurs de 21 21 DESIGN SIGHT, le premier musée du design au Japon. En mars 2016, une grande rétrospective de son œuvre est organisée au National Art Center, à Tokyo, pour célébrer ses 45 ans de carrière.
Issei Miyake s’est toujours entouré de femmes fortes. Sa mère aurait exercé une grand influence, dira-t-il. Voici quatre portraits de femmes qui l’ont inspiré.
Madeleine Vionnet
L’une de ses principales inspiratrices est la créatrice de mode Madeleine Vionnet (1876-1975). Le propre travail de Miyake est marqué par le sens de la géométrie et l’utilisation d’une seule pièce de tissu.
Il écrit la préface du livre-référence de Betty Kirke sur Madeleine Vionnet. La première fois qu’il a vu son travail lors d’une exposition au Metropolitan Museum of Art de New York, « l’impression était semblable à l’émerveillement que l’on ressent à la vue d’une femme sortant du bain, drapée seulement d’une seule pièce de tissu magnifique. »
Betty Kirke se rendra au Japon à l’invitation du couturier pour des séminaires sur la créatrice française de l’avant-guerre.
Lucie Rie
En 1980, il fait la rencontre de Lucie Rie (1902-1995), céramiste d’origine autrichienne vivant en Angleterre. En visitant son atelier-maison, il est ému par la beauté de ses créations.
“Je me souviens m’être senti soudainement énergisé et inspiré. À mon retour à Tokyo, encore excité par ma visite, j’ai organisé une exposition à Tokyo et Osaka”, raconte-t-il. L’exposition Issey Miyake meets Lucie Rie de 1989 contribue a populariser le travail de Lucie Rie.
Le créateur japonais entretiendra une longue relation d’amitié avec elle jusqu’à sa mort en 1995. En 2019, il organise de nouveau une exposition dans le nouveau musée 21 21 DESIGN SIGHT.
Céramique de Lucie Rie / Dominic Lipinski/PA Wire
Fusae Ichikawa
Lorsqu’il crée sa propre maison de couture, Issey Miyake est marqué par les années de jeunesse qu’il a passées hors du Japon à Paris et à New York. Lors des événements de Mai 1968, observant les manifestants, il décide de « créer une mode pour ces gens-là”.
L’une de ses références est l’activiste féministe japonaise et suffragette, Fusae Ichikawa (1893-1981). Journaliste, elle lutte pour les droits civiques des femmes à partir des années 20. Après-guerre, elle s’engage en politique et est à l’origine du droit de vote des femmes en novembre 1945. En 1974, Issey Miyake lui écrit pour lui demander de porter l’une de ses créations.
Masako Shirasu
Masako Shirasu est un modèle d’élégance et de style qui inspire Issey Miyake à ses débuts dans un Japon qui s’affirme en tant que deuxième puissance mondiale.
A l’âge de 14 ans, elle est la première fille à se produire dans une piece de Noh, théâtre traditionnel japonais. De 1924 à 1928, jusqu’à l’âge de 18 ans, elle étudie aux Etats-Unis. Un an après, elle épouse Jiro Shirasu, futur intermédiaire entre le premier ministre Shigeru Yoshida et le général Mc Arthur avant de diriger de grandes entreprises. Après la guerre, Masako Shirasu s’impose comme l’une des grandes essayistes japonaises.
Toute sa vie, elle est attirée par l’art et les créateurs et leur relation avec la matière. « Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’artistes, mais d’artisans. Les gens tentent de créer de l’art et échouent. Si vous créez quelque chose avec une grande habileté, cela peut très bien aboutir à de l’art », écrit-elle en 1947. Une remarque qui aurait pu s’appliquer au grand couturier japonais.
Des femmes à ses côtés
La présidente de Miyake Design Studio, Midori Kitamura, rencontre le couturier en 1974. Elle a un peu plus de vingt ans et sera son bras droit fidèle. Pendant plus de quarante ans, elle est à ses côtés et fait tous les métiers, supervisant toutes les collections jusqu’en 1999. Elle est la directrice créative d’innombrables projets ainsi que des expositions et publications. Elle passe sept ans à peaufiner la monographie -publiée chez Taschen- qui sera le catalogue de l’exposition rétrospective de 2016. « Nous avons dû louer un espace spécialement pour le projet. J’y étais pratiquement enfermée pendant trois ans”, raconte-t-elle. C’est elle qui dirige les entreprises du groupe Miyake.
Le Japan Times souligne ainsi que “derrière chaque grand homme se cache une grande femme. Dans le cas d’Issey Miyake, il y en a plusieurs en fait”. L’écrivain et directrice artistique Kazuko Koike, la designeuse Eiko Ishioka et la photographe Yuriko Takagi accompagneront le couturier japonais tout au long de ces années de création.