Sommaire
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Le burn out en pleine explosion
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Les mêmes effets du stress aux Etats-Unis
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Les femmes cherchent de l’aide
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Monoparentalité, charge mentale, fatigue empathique…
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Le bien-être en entreprise
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L’impact du télétravail sur le burn out
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Le retour au bureau, un soulagement?
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Perfectionnisme, anxiété, syndrome de l’imposteur…
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Un phénomène de société
Hardi qui prétendrait savoir combien de femmes sont en burn out, dit syndrome d’épuisement professionnel en français… « La prévalence du burn out est généralement plus élevée dans les données autodéclarées et elle est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes », soulignait en 2018 le rapport européen Burnout in the workplace (Eurofound). Il prévient que dans l’ensemble, « les données sont difficiles à comparer, car elles reposent sur des définitions différentes ». Pour y voir plus clair, Informelles a interrogé la coach Fabienne Weil, les psychologues cliniciennes Nadia Butakova, pour Empreinte Humaine, et Brigitte Vaudolon, membre du conseil d’administration de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps).
Le burn out en pleine explosion
En France, en octobre 2021, 2,55 millions de salariés sont en burn out sévère (+25% par rapport à mai 2021 et 2,7 fois plus qu’en mai 2020), selon une étude du cabinet Empreinte Humaine, spécialisé en risques psychosociaux et qualité de vie au travail. L’enquête a été réalisée en ligne par OpinionWay, du 28 septembre au 7 octobre 2021, auprès d’un panel représentatif de 2.016 salariés. « Femmes et hommes étaient autour du même pourcentage, 12,6% pour les femmes et 12,7% pour les hommes (contre 18% pour les managers, qui restent les plus touchés) », commente Nadia Butakova, psychologue clinicienne du travail, consultante chez Empreinte humaine. Selon le même baromètre, 44% des femmes sont en détresse psychologique, contre 33% des hommes. « Le taux de détresse psychologique a légèrement diminué », décrypte la psychologue, « tout en restant à un niveau important. Lorsque cette détresse n’est pas traitée, elle risque d’entraîner des problèmes de santé plus graves tels que des maladies psychosomatiques et les troubles anxio-dépressifs. »
« Femmes et hommes étaient autour du même pourcentage, 12,6% pour les femmes et 12,7% pour les hommes (contre 18% pour les managers, qui restent les plus touchés). » Nadia Butakova, psychologue clinicienne, consultante chez Empreinte Humaine
Les mêmes effets du stress aux Etats-Unis
Aux États-Unis, d’après la 7ème édition de l’étude Women in the workplace 2021 effectuée par McKinsey en partenariat avec Lean In, basée sur les données issues de 423 entreprises américaines (employant 12 millions de salariés), « 42% des femmes [parmi les salariées sondées] disent qu’elles ont été souvent ou presque toujours “burned out’’ en 2021, contre 32% il y a un an ». Ces taux seraient de 35% (2021) et 28% (2020) pour les hommes. Dans la même étude, le tableau ci-dessous a été obtenu en demandant aux répondants : « Au cours des derniers mois, quelles situations, parmi les suivantes, avez-vous ressenti de façon constante au travail ? » On observe que le pourcentage est toujours plus élevé chez les femmes, qu’il s’agisse de burn out (en bleu), de stress chronique (en bleu ciel) ou d’épuisement (en noir).
- Brigitte Vaudolon, psychologue clinicienne
- Fabienne Weil, coach spécialisée
- Nadia Butakova, psychologue clinicienne
Les femmes cherchent de l’aide
En France, certains professionnels du burn out observent, à leur échelle (sans prétention statistique), que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à frapper à leur porte. « Une part de cet écart pourrait peut-être s’expliquer par une plus grande capacité des femmes à exprimer leurs difficultés et à demander de l’aide », pointe Brigitte Vaudolon, membre du conseil d’administration de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps). « Cela ne veut pas dire que les hommes n’ont pas de problèmes ! »
Monoparentalité, charge mentale, fatigue empathique…
Certains facteurs de risque sont inégalement répartis entre femmes et hommes… « Par exemple, les femmes sont plus souvent en situation de famille monoparentale », poursuit Brigitte Vaudolon. « Quant aux femmes en couple, elles sont plus susceptibles de vivre des doubles journées, en s’occupant davantage de l’organisation domestique et des enfants. »
Dans l’imaginaire collectif, ici soutenu par plusieurs études, les femmes seraient en moyenne plus empathiques que les hommes. Quid de la potentielle fatigue émotionnelle accrue des femmes managers ? « Il faut bien sûr éviter les généralités », rappelle Brigitte Vaudolon, « mais on remarque en pratique que le management féminin a des caractéristiques différentes. Une femme manager aura souvent plus d’empathie que les managers hommes. Elle se souciera davantage des membres de son équipe, supportant ainsi une charge émotionnelle plus importante. »
« Il faut bien sûr éviter les généralités, mais on remarque en pratique que le management féminin a des caractéristiques différentes. Une femme manager aura souvent plus d’empathie que les managers hommes. Elle se souciera davantage des membres de son équipe, supportant ainsi une charge émotionnelle plus importante. » Brigitte Vaudolon, membre du conseil d’administration de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps)
Le bien-être en entreprise
Une empathie utile en temps de crise… jusqu’à protéger les autres salariés du burn out ? D’après le rapport Women in the workplace 2021 précité, « comparées aux hommes occupant des postes similaires, les femmes managers font systématiquement plus pour promouvoir le bien-être (« well-being » dans le tableau ci-dessous) des employés, notamment en prenant des nouvelles de leur équipe, en les aidant à gérer leur charge de travail (« workload ») et en apportant leur soutien à ceux qui sont victimes de burn out, ou qui font face à des difficultés dans leur vie professionnelle ou privée. »
Women in workplace 2021
Nadia Butakova (Empreinte Humaine) indique toutefois ne pas disposer « de chiffres indiquant si les salariés managés par des femmes font plus de burn out que celles et ceux qui sont managés par des hommes ».
L’impact du télétravail
Un peu comme Superman exposé à de la kryptonite verte, une mère de famille peut perdre ses super-pouvoirs si elle est confrontée à des cocktails combinant, notamment : télétravail forcé – école à la maison (au plus fort de la pandémie de Covid-19 en France) – tâches domestiques mal réparties.
Selon une étude du Boston Consulting Group avec Ipsos (février 2021) sur l’impact de la pandémie sur les salariés français, la généralisation du télétravail « tend en effet à creuser davantage les inégalités entre hommes et femmes. Elles sont 1,3 fois moins nombreuses que les hommes à disposer d’un espace isolé et ont 1,5 fois plus de risques d’être fréquemment interrompues lorsqu’elles télétravaillent. » Les femmes supporteraient toujours l’essentiel de la charge mentale : « Même si l’augmentation des tâches domestiques et le temps consacré aux enfants concernent tous les parents salariés, les femmes portent toujours le plus gros du poids. » Elles seraient 1,3 fois plus susceptibles d’être en situation d’anxiété.
Le retour au bureau, un soulagement?
De plus, « il semble que la rentrée et l’arrêt du télétravail contraint a eu un impact significatif pour la santé psychologique des managers », contextualise le cabinet Empreinte Humaine dans un communiqué. Moins quatorze points de détresse psychologique en octobre 2021, par rapport à mai, selon le même cabinet. Cependant, certains managers et cadres ont très bien vécu le télétravail à domicile. « Une partie des femmes que j’accompagne ont ainsi pu s’extraire d’un milieu professionnel qui commençait à être toxique en présentiel », rapporte la coach et sophrologue Fabienne Weil, spécialisée dans le burn out. « Elles ont repris le contrôle sur leurs journées, notamment en n’ayant plus la sensation de perdre du temps dans les transports. »
Perfectionnisme, anxiété, syndrome de l’imposteur…
« Talentueuses », « enthousiastes », « perfectionnistes », « accros au travail », « serviables, parfois jusqu’au sacrifice de soi », « anxieuses »… Des mots qui viennent à l’esprit de Fabienne Weil pour décrire les dirigeantes et managers qui la sollicitent pendant (ou après) un burn out. En creux, se dessinent tous les bénéfices que les entreprises tirent – souvent sans contrepartie – de ces femmes surinvesties, certaines étant même des insecure overachievers (femmes et hommes angoissés-surperformants, volontairement recherchés par les recruteurs de nombreux grands groupes).
Levons toute ambiguïté : les hommes ont autant de capacités que les femmes, et peuvent eux aussi surperformer au travail. Pourtant, à surcharge de travail égale, ils semblent moins exposés à l’épuisement professionnel. « Certaines femmes veulent tout réussir à 100% », comprend Fabienne Weil lors de ses consultations. « Elles mettent toutes leurs identités de femmes au même niveau – la dirigeante, la mère, l’épouse, l’amie, la présidente d’association… -, et cela les expose davantage au burn out. » Qu’en est-il des hommes ? « J’observe qu’ils vont, en moyenne, plus facilement fixer une priorité. Et quand c’est le travail, je constate beaucoup moins chez eux ce fort sentiment de culpabilité que je vois chez les femmes. Aux yeux de certaines dirigeantes ou managers, ne pas s’occuper à fond de leur famille, c’est très culpabilisant ! »
Le burn out, un phénomène de société
Les facteurs de risque individuels (personnalité, charge mentale, etc.) ne doivent pas éclipser la responsabilité des entreprises. En effet, le burn out est aussi un phénomène collectif et sociétal, alimenté par une demande croissante de productivité envers les salariés, ou encore par des dysfonctionnements organisationnels. S’ajoute la création de burn out dans le cadre d’un « harcèlement moral institutionnel », délibérément orchestré par l’entreprise et désormais reconnu en jurisprudence.