L’interview informelle: Audrey Tcherkoff, féministe et positive

Cofondatrice avec Jacques Attali de l’Institut de l’Économie Positive, Audrey Tcherkoff prend la direction générale du Women’s Forum. La panacée pour cette féministe et « workaholic » de 39 ans qui souhaite profiter du rayonnement à l’international de ce « Davos des femmes » pour multiplier les actions concrètes en faveur de l’égalité des chances femme-homme. Rencontre.

Sommaire

  • Les femmes puissantes
  • Les quotas pour faire avancer la parité
  • Chantre de l’économie positive
  • Le nouveau rôle d’Audrey Tcherkoff au Women’s Forum

Les femmes puissantes

Quelle est votre définition d’une femme puissante ?

Je vais peut-être avoir un autre regard que celui que l’on pose habituellement sur une femme puissante, mais complémentaire. En voyageant – professionnellement- dans des pays assez pauvres et sous-développés, j’ai eu la chance de rencontrer des femmes qui m’ont fait prendre conscience de la notion d’engagement, et qui peut se faire parfois au péril de leur vie. Ce sont des femmes puissantes car elles osent parler, accuser, dénoncer les compromis. Des anonymes qui se battent contre les atteintes à la démocratie. Mais aussi des victimes comme Nadia Murad, ancienne esclave sexuelle de DAESH qui a reçu le prix Nobel de la Paix (2018) et à qui il a fallu beaucoup de courage et de détermination pour remuer toute la communauté internationale sur la question du génocide des yézidis. Après pour répondre à votre question sur la terminologie du mot, je pense que le pouvoir on l´a sur les autres, alors que la puissance quelque part on l´a sur soi-même.

Une puissance qui n’est pas forcément liée à la réussite ?

Mon combat dans ma prise de fonction à la tête du Women’s Forum est de ne pas parler uniquement des femmes fortes dans les hautes instances mais de faire changer le regard de la société sur cette force. Car dans le terme femme puissante il y a peut-être le risque d’une nouvelle injonction à l’obligation de réussite. J’ai en mémoire une interview d’Indra Nooyi (présidente du groupe PepsiCo) qui m’avait -à titre personnel- beaucoup déculpabilisé.  Elle disait les nombreuses concessions qu’elle avait dû faire pour arriver à un poste comme le sien et rappelait qu’on n’était pas obligé de tout faire au même moment : on ne peut pas être une super maman, une super femme, une super chef d’entreprise au même moment. Avec leur intelligence et leur travail, les femmes évoluent au sein d’un système qui les porte et qu’elles participent à construire.

Vous parliez d’expérience personnelle ?

Quand on a la chance de pouvoir faire passer des messages au plus grand monde, il ne faut pas avoir peur de parler de ses failles, cette fragilité, c’est pour cela que j’avais trouvé le discours d’Indra Nooyi très puissant. De mon côté cela a été difficile durant les années où je n’ai pas pu amener, ni chercher ma fille à l’école ou encore participer aux fêtes de fins d’année et elle m’en a voulu… Mais je pense qu’il faut assumer nos choix face à la société, face aux médias lorsqu’on est interrogée et je trouve que toute prise de parole est bonne à entendre sur ce sujet-là.

« Mon combat dans ma prise de fonction à la tête du Women’s Forum est de ne pas parler uniquement des femmes fortes dans les hautes instances mais de faire changer le regard de la société sur cette force. » Audrey Tcherkoff

Les quotas pour faire avancer la parité

Parler de femme puissante ce n’est pas devenu un débat d’arrière-garde ?

C’est compliqué de ne pas trop genrer la réussite. J’ai interviewé des femmes à la tête de très grandes entreprises françaises dont je tairai les noms et quand je leur demandais si elles avaient un message à faire passer aux jeunes filles qui rêvent d’accéder un jour à un poste comme le leur, et il m’est arrivée qu’on me balaye d’un revers de main avec pour réponse qu’elle n’était pas là pour sa condition de femme mais par mérite. Pourtant le système de quotas se montre très efficace pour lutter contre le plafond de verre. Les droits des femmes ne sont jamais acquis : aux personnes qui me disent qu’aujourd’hui le féminisme est un combat dépassé et qu’il y a beaucoup de femmes puissantes, je leur réponds que ce n’est pas vrai. Si on regarde quelques chiffres, seulement 28 % de femmes qui accèdent à des postes de maire en France, seulement 19 femmes sont à la tête de pays… il faut donc encore se battre pour leur laisser la possibilité du choix, et accéder à des postes à responsabilité si elles en ont envie. Tout est question d’égalité des chances.

Surtout quand on voit l’impact de la pandémie sur les femmes…

On se souvient de cette citation de Beauvoir qui disait qu’il ne faut jamais oublier qu’il suffira d’une crise économique, politique pour que les droits des femmes soit remis en question. Les chiffres publiés à la fin du deuxième confinement sont très éloquents sur le poids de la charge mentale et notamment sur le fait qu’à une échelle mondiale les femmes ont été plus touchées par la perte de leur emploi : 5% face à 3,9%. Sans oublier celles qui ont renoncé deux fois plus souvent que les hommes à travailler pour s’occuper des enfants.

« On se souvient de cette citation de Beauvoir qui disait qu’il ne faut jamais oublier qu’il suffira d’une crise économique, politique pour que les droits des femmes soit remis en question. Les chiffres publiés à la fin du deuxième confinement sont très éloquents. » Audrey Tcherkoff

Chantre de l’économie positive

Vous étiez présente au dernier Festival de Cannes pour la semaine du Cinéma Positif ?

En tant que présidente de l’Institut de l’Économie Positive j’ai créé la semaine du cinéma positif qui récompense le film le plus positif de la sélection officielle du festival, c’est-à-dire des films engagés (Prix remis au film « Haut et Fort » de Nabil Ayouche pour la 6ème édition) qui font changer notre regard sur le monde…

Quelle définition peut-on donner à l’économie positive?

L’économie positive, c’est une économie qui ne laisse personne de côté. Elle prend en compte l’intérêt des générations futures et invite chacun à se poser la question dans notre quotidien : est-ce que la décision que je vais prendre aujourd’hui va avoir un impact positif ou non sur les générations futures ? Nous avons mis au point des indices qui permettent depuis plusieurs années de calculer la positivité à trois niveaux : Des pays, des territoires, et des entreprises. Et évidemment, la dynamique de parité et la manière dont tous ces acteurs-là inclut les femmes dans les processus de décision et leur donne des chances égales en fait partie.

Et dans le cinéma également ?

Oui, si dans la littérature on trouve des personnages féminins forts depuis très longtemps, au cinéma en revanche ce n’est pas le cas. Les rôles féminins ont mis beaucoup plus de temps à se détacher des rôles masculins. Dans les années 40, les personnages féminins n’existaient que dans les intrigues liées à d’autres personnages « masculins », en particulier dans les histoires d’amour. On ne pouvait pas imaginer mettre en scène une femme indépendante, capable de détruire ou de sauver le monde, parce que les super-héros sont basés sur la force, parfois la violence. Ce que les mœurs de l’époque ne pouvaient tolérer pour une femme. Aujourd’hui les sept cents millions de dollars de recettes du dernier Marvel « Captain Marvel » qui met en scène une héroïne en tant que personnage principal, viennent enfin faire évoluer notre regard.

Faut-il imaginer des quotas pour la représentation des femmes au cinéma ?

On peut déjà se référer au test de « Bechdel» qui est très instructif sur le sexisme au féminin et qui peut servir de modèle aux réalisateur/trices: de mémoire il faut qu’il y est au moins deux femmes nommées dans le film, qu’elles parlent ensemble de quelque chose qui est sans rapport avec un homme. Quand on regarde le nombre de films qui appliquent ses trois critères c’est anecdotique. La question de rôle-modèle est essentielle.

« Le temps n’est plus du tout à la parole mais à l’action. J’ai envie de de mettre un coup de projecteur sur des projets de loi, de terrain, et d’entreprise très concrets car ils montrent l’implication des femmes dans tous les niveaux de décision. » Audrey Tcherkoff

Le nouveau rôle d’Audrey Tcherkoff au Women’s Forum

Vous avez été nommée directrice générale du Women’s Forum, quel est votre état d’esprit ?

Très heureuse évidemment, nous sommes en train de penser la nouvelle édition du Women’s Forum à la lumière de la situation actuelle parce que car le temps n’est plus du tout à la parole mais à l’action. J’ai envie de de mettre un coup de projecteur sur des projets de loi, de terrain, et d’entreprise très concrets car ils montrent l’implication des femmes dans tous les niveaux de décision. On va parler du fait que dans les pays moins développés 75% des femmes occupent un emploi qu’on appelle informel ou précaire, et cela monte à 92 % dans les pays à faible revenu. On sait également que 500 millions de personnes bascule dans le seuil de pauvreté et qu’une grande partie sont des femmes. On parlait de la crise tout à l’heure, elle a montré à quel point toutes les femmes (caissières, infirmières, …) que l’on peut croiser au quotidien étaient importantes et paradoxalement invisibles. Les femmes ont vraiment été au premier plan de cette crise et ont jouées un rôle absolument déterminant dans sa sortie.

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