Sommaire
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Chrystèle Sanon, de juriste à entrepreneure
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Remplir les rues d’entrepreneurs avec Full Street
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Son combat : « rendre possible » en levant les barrières
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Une femme passionnée
De juriste à entrepreneure
Quelle activité occupiez-vous avant de lancer votre entreprise ?
Chrystèle Sanon : J’étais juriste chez le groupe Lagardère et j’y suis restée 12 ans. À l’époque, l’arrivée du numérique et des journaux gratuits avait mis à mal le modèle de la presse. Ce qu’on vendait était désormais distribué gratuitement soit en ligne soit en papier. Il a fallu réinventer notre modèle économique en diversifiant nos activités. Mon travail consistait alors à accompagner les opérationnels qui devaient trouver de nouveaux leviers de croissance. Je devais les conseiller sur ce qui était faisable ou non d’un point de vue juridique.
Chez Paris Match par exemple, notre matière première c’était le contenu photo – il faut dire qu’on avait un fond d’archives photographique inestimable. Il fallait en faire quelque chose et, plutôt que de s’en servir uniquement pour illustrer nos articles, on a construit des partenariats avec des agences pour vendre nos photos. On a signé un accord avec Getty Images pour la diffusion mondiale des photographies du magazine. Lorsque nous avions envisagé ce type d’exploitation, il a fallu revoir tous les contrats de tous les auteurs pour déterminer de nouveau les cessions de droit. Sans ça le groupe se serait exposé à un risque exponentiel, puisqu’on aurait cédé des droits à une agence qui allait les commercialiser pour des usages dont on avait pas de cession.
A quel moment avez-vous eu le déclic de quitter votre emploi pour vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
C.S.: Je sentais que j’arrivais au bout de ce que je pouvais apprendre et je me suis surtout rendue compte que lorsqu’on me proposait un projet, je débordais souvent du cadre. J’avais envie de donner mon avis sur les titres, sur les couleurs, sur le design de certains magazines, mais ce n’est pas ce qu’on attendait de moi. C’était le premier symptôme qui m’avait amené à me découvrir.
En parallèle, j’avais également commencé à travailler bénévolement pour la fondation Elle, auprès de l’Association pour le Droit à l’Initiative Économique (ADIE), une structure de micro financement pour les porteurs de projets qui se voient refuser des prêts bancaires. C’est comme ça que j’ai commencé à accompagner des jeunes entrepreneurs. Je pouvais leur donner mon avis sur tous les aspects de leur projet : leur communication, leur design ou le choix des statuts juridiques. J’y ai pris goût et j’ai quitté mon emploi. Je me suis ensuite lancée en tant qu’auto-entrepreneure pour accompagner des porteurs de projets.
« Lorsqu’on me proposait un projet, je débordais souvent du cadre. […] C’était le premier symptôme qui m’a amené à me découvrir ». Chrystèle Sanon
Remplir les rues d’entrepreneurs avec Full Street
Pouvez-vous nous présenter le concept de full street ?
C.S.: Full Street est né de la volonté d’accompagner et de proposer une solution digitale à tous ceux qui ne sont pas issus d’une école de commerce ou qui n’appartiennent pas à un terreau familial qui va leur partager l’expérience de l’entrepreneuriat. C’est à eux que j’ai songé en pensant la plateforme.
Par ailleurs, on ne sait pas toujours vers qui se tourner lorsqu’on a besoin d’aide. C’est pour cela que Full street donne aux porteurs de projets l’accès à un réseau professionnel qualifié. Le but est de leur donner un maximum d’outils et de visibilité sur le processus de l’entrepreneuriat. Pour ce faire, nous avons digitalisé le parcours de l’entrepreneur et on présente au bénéficiaire tous les services qui participeront à l’exécution de son projet. Il y a un ordonnancement des actions qui se fait en quatre temps : le concept (exemple : la vérification de la disponibilité du nom de la marque, la rédaction de l’étude de marché), l’immatriculation (exemple: la mise à disposition d’un expert comptable pour la rédaction des statuts juridiques), le point de vente (en ligne ou en physique) et le management (exemple : présentation d’outils de gestion de marketing, de trésorerie).
Quel est votre modèle économique ?
C.S.: Nos offres avaient été négociées au préalable avec nos partenaires et à chaque rencontre entre l’offre et la demande nous touchions une commission. Aujourd’hui notre modèle a évolué, on s’est aperçus que beaucoup d’incubateurs étaient à l’arrêt à cause des confinements: il n’y avait plus d’évènements, plus de rencontres, plus de suivi pour les entrepreneurs. C’est à ce moment-là qu’on s’est dit : “Et si on vendait notre logiciel à ces structures d’accompagnement ?” Full street est donc devenu un éditeur de logiciel. Notre modèle économique aujourd’hui c’est de vendre la solution à des incubateurs, à des écoles, à des associations d’entrepreneurs, à des collectivités… Il s’agit alors pour ces structures de recréer leur écosystème à l’intérieur de l’outil en mettant en relation leurs porteurs de projets avec leurs experts. Enfin, il y a une mission qu’on avait pas rempli: celle de la montée en compétences des entrepreneurs. On partageait bien évidemment un peu de contenu sur la plateforme mais ce n’était pas suffisant. Nous est alors venue l’idée de développer une plateforme de e-learning pour aider l’entrepreneur à monter en compétences via des vidéos, des podcasts et des contenus écrits. Les structures qui achètent notre solution pourront elles aussi pousser leur propres contenus et formations directement à l’intérieur de l’outil.
Son combat : « rendre possible » en levant les barrières
Quel constat faites-vous actuellement sur la création d’entreprise ?
C.S.: En France il y a cette idée que pour entreprendre, il faut le mériter. Toutes les difficultés que les entrepreneurs rencontrent sur leur chemin est perçu comme un bon moyen de tester leur motivation, leur endurance et, par conséquent, il ne reste que les meilleurs. Je veux combattre cette idée reçue ! On est dans une période ou il est nécessaire de relancer l’économie, on a besoin de toutes les compétences et de tous les savoir-faire. L’entrepreneuriat ce n’est pas que créer des multinationales, c’est aussi de créer son propre emploi. Aujourd’hui on force les chômeurs à accepter des emplois qui ne leur correspondent pas. Personnellement, je préfère créer mon emploi dans lequel je peux déployer mes compétences. Cette idée de maintenir la complexité pour ne garder que les meilleurs ne nous tirera pas vers le haut.
Comment Full street aide-t-il à lever ces barrières ?
C.S.: Vous savez, en France, tout est polarisé: les aides à l’entrepreneuriat sont nombreuses dans la région parisienne, mais dans d’autres régions c’est moins le cas. Le digital lève ces barrières car il permet de rayonner au-delà des frontières. Par ailleurs, les jeunes aussi peuvent parfois avoir ce complexe de légitimité qui les empêche de se lancer. Souvent ils ne franchissent pas le pas car ils sont timides, en fait ils se disqualifient eux mêmes. Grâce au digital ils bénéficient de tous ces outils en ligne. Personne ne leur posera la question s’ils sont vraiment prêts, ils ne se sentent pas défiés. Le digital lève des barrières car ils peuvent déjà embrasser le processus.
Quelle ambition avez-vous pour Full street ?
C.S.: J’aimerais que Full Streets devienne un outil institutionnel. Que les organismes et structures qui promeuvent l’entrepreneuriat se dotent d’un outil plus opérationnel comme le nôtre.
Une femme passionnée
Qu’est ce qui vous motive au quotidien ?
L’entrepreneuriat, c’est ma passion. Vous savez il y a ce qu’on appelle “la passion economy” aux États-Unis, pour moi c’est vraiment la nouvelle ère du travail. Il y a aujourd’hui une nécessité de rapprocher l’activité professionnelle avec les valeurs, la vision et les centres d’intérêt. De plus en plus de gens font de leur passion un métier ou, à minima, cherche dans leur profession quelque chose de passionnant. C’est une tendance grandissante.
Avez-vous un rôle modèle ?
Je n’ai pas de modèle en soi, je ne peux pas m’identifier à une seule et même personne. Ce sont les gens qui m’inspirent. Mon entourage me porte et je me nourris de toutes les rencontres que je fais.