Mediator : la lanceuse d’alerte Irène Frachon raconte ce scandale en BD

« Mediator, un crime chimiquement pur » : c’est le titre de la BD co-écrite par Irène Frachon, pneumologue qui a fait éclater le scandale sanitaire de cet antidiabétique du laboratoire Servier en 2010, dont le procès revient en appel le 9 janvier prochain. Irène Frachon répond aux questions d'Informelles en amont du nouveau procès et de cette publication, le 4 janvier aux éditions Delcourt. Entretien.

Sommaire

    • Mediator : une BD d’utilité publique
    • Diktat de la minceur et Mediator
    • Sexisme et hostilité envers Irène Frachon
    • Le combat d’une vie
    • Procès du Mediator en appel en janvier 2023

 

L’affaire du Mediator, raconté comme jamais… Irène Frachon, pneumologue célèbre pour son rôle crucial de lanceuse d’alerte au sujet des effets néfastes de ce médicament du laboratoire Servier, publie la BD Mediator, un crime chimiquement pur (éd. Delcourt, 4 janvier 2023), dont le procès revient en appel le 9 janvier. Quatre mois et demi sont prévus – jusqu’au 24 mai 2023- dans les agendas des différentes parties prenantes et porteront notamment sur la question clé de l’escroquerie à l’Assurance maladie et aux mutuelles initiée par le laboratoire français.

Pour retracer ce scandale sanitaire hors-normes, Irène Frachon s’est associée à Éric Giacometti, scénariste de Largo Winch et ex-journaliste, avec François Duprat à l’illustration. Cela donne une BD très pédagogique et humaine, avec un dessin et un scénario à la hauteur des enjeux.

C’est sous un angle collectif et contextualisé que l’album aborde le Mediator, médicament mis sur le marché français en 1976 comme antidiabétique, largement prescrit comme coupe-faim, retiré en 2009. Notamment en faisant le lien avec le cas – moins connu – de l’Isoméride, un autre coupe-faim des mêmes laboratoires Servier, retiré au niveau mondial en 1997. Or comme le rappellent les auteurs, « en comparant les deux médicaments, on retrouve des structures chimiques très proches qui libèrent dans l’organisme le même métabolite, la norfenfluramine, la molécule tueuse ».

Entretien avec la « fille de Brest » – titre du film d’Emmanuel Bercot sur Irène Frachon, sorti en 2016 -, celle qui a osé défier Servier et qui continue le combat, à 59 ans.

Mediator : une BD d’utilité publique

Informelles : Comment s’est passée la collaboration avec Éric Giacometti (scénariste) et François Duprat (illustrateur) ?

Irène Frachon : Que du bonheur ! Peut-être pas pour le pauvre François qui a bossé comme une bête (rires) – on était parti sur 150 pages, on est passé à 200. Nous avons travaillé pendant deux ans, il nous envoyait ses crayonnés, à l’ancienne : c’était comme un cadeau à chaque fois qu’ils arrivaient. Au final, la BD permet de raconter toute l’histoire. Sans renoncer à la complexité – elle entre dans un degré de précision assez important. Mais la lecture est fluide, pas ennuyeuse il me semble. Comme un polar, sauf que tout est vrai. Bien sûr, nous avons dû renoncer à quelques éléments annexes, sinon la BD aurait fait 500 pages.

Le dessin sensible rend aussi hommage aux histoires des victimes…

I.F. : Les histoires des victimes me tiennent toutes terriblement à cœur. La seule victime survivante avec qui on a écrit ces planches, c’est Cathy et elle est morte il y a trois semaines.

Diktat de la minceur et Mediator

La BD rappelle que « les femmes victimes du Pondéral, de l’Isoméride et du Mediator voulaient juste perdre quelques kilos ». « Près de 70% des prescriptions de Mediator visaient l’amaigrissement. Le diktat de la minceur dans toute sa puissance mortifère. » En tant que femme, comment ce diktat a résonné chez vous, au fil de votre engagement ?

I.F. : Dès les premières planches de la BD, on voit que mon propre poids me préoccupe en 2007. Le dessin représente un pique-nique sur la plage en famille, et je suis en train de lire un livre pour maigrir en disant « J’ai cinq kilos en trop, ça m’énerve ». Je tenais à le montrer : je n’ai pas voulu m’exclure de cette aventure des femmes par rapport à leur corps. Les trois quarts des victimes du Mediator sont des femmes (NDLR une expertise judiciaire estime que le Mediator aurait causé en France entre 1.300 et 1.800 morts à long terme par valvulopathie – une pathologie cardiaque – sans estimer le nombre de décès par hypertension artérielle pulmonaire).

« Dès les premières planches de la BD, on voit que mon propre poids me préoccupe en 2007. Je n’ai pas voulu m’exclure de cette aventure des femmes par rapport à leur corps. » Irène Frachon, pneumologue et lanceuse d’alerte dans l’affaire du Mediator 

Quel était le profil de ces femmes ?

I.F. : L’Isoméride a ciblé des femmes très jeunes, mortes très jeunes. Tandis que le Mediator a touché beaucoup de femmes d’un certain âge, de milieux défavorisés. Et quand vous lisez les prénoms de victimes de la norfenfluramine sur une double page de la BD, vous voyez deux générations, avec notamment des Jacqueline, Françoise, Monique… Il y a aussi beaucoup de prénoms maghrébins. Comme l’a rappelé Mediapart, le Mediator a atteint des records de consommation dans les départements du sud méditerranéen, car les femmes du Midi sont plus attentives à leur poids.

Sexisme et hostilité envers Irène Frachon

Dans la BD, est reproduit un mail de 2010 du président de la Commission d’autorisation de mise sur le marché de l’Agence du médicament de l’époque (Daniel Vittecoq), qui parle de vous en ces termes : « Elle me donne l’impression de ces petits soldats (…) qui sont convaincus qu’ils ont tout compris et que si la terre tourne, c’est grâce à eux. » «Elle fait vivre son narcissisme à travers son livre [NDLR Mediator 150 mg : combien de morts ?, éd. Dialogues, 2010] qui est l’œuvre de sa vie. » Au-delà de ce simple exemple, les réactions contre vous ont-elles été alimentées par du sexisme ?

I.F. : Oui ! Je ne l’avais pas perçu comme ça initialement. Mais rétrospectivement, ça me saute aux yeux : une partie du mépris et de l’hostilité contre moi était liée au fait que j’avais face à moi de gros machos.

Le combat d’une vie

Comment avez-vous vécu, et vivez-vous encore, l’irruption de ce combat dans votre vie ?

I.F. : Cela s’est superposé à mon métier de pneumologue. Ce que je trouve anormal, c’est d’être toujours obligée de m’en occuper beaucoup. L’affaire a éclaté depuis longtemps, pourtant je dois encore me battre au quotidien, même aujourd’hui, pour dénoncer Servier, ou ses partenariats avec des institutions françaises prestigieuses. C’est une boîte délinquante, ce sont des malfrats, pourtant le monde médical collabore avec eux !

Un colloque vous a récemment beaucoup énervée…

I.F. : Cet automne, j’ai vu passer un grand colloque scientifique national, Covid 19 : An III. Sauf que, petit bug, il fallait s’inscrire auprès de l’Institut Servier [NDLR co-organisateur avec l’université Paris-Cité]. J’ai téléphoné à l’un des participants, un très grand scientifique : « Si vous osez organiser ce colloque sous l’égide de Servier, comment l’opinion publique peut-elle vous faire confiance ? » [NDLR l’événement a ensuite été annulé, comme le raconte le journal Libération].

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Procès du Mediator en appel en janvier 2023

Le procès en appel du Mediator démarre le 9 janvier. Qu’en espérez-vous ?

I.F. : Je suis inquiète. 2023, c’est treize ans après l’éclatement du scandale, et autant d’années de faillite complète de la justice. Elle a toujours été en deçà des enjeux. En 2010, elle a censuré mon livre. Ensuite, elle n’a pas été à la hauteur dans la bataille indemnitaire. Et la justice pénale est au-dessous de tout : c’est la montagne qui a accouché d’une souris. J’ai très peur que l’affaire du Mediator soit le révélateur d’une justice frileuse, incapable de bloquer la criminalité en col blanc. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai fait cette BD : au moins, les citoyens pourront savoir. J’espère que l’histoire ne tombera pas dans l’oubli.

Mediator un crime chimiquement pur (éd. Delcourt, 200 pages, 23,95 euros TTC), en librairie le 4 janvier 2023.

Mediator un crime chimiquement pur (éd. Delcourt, 200 pages, 23,95 euros TTC), en librairie le 4 janvier 2023.

 

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