L'interview Informelle : Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de l'ONG ONE et ex-ministre

Directrice France de l'ONG ONE, présidente de France Terre d'Asile et conseillère régionale, l'ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem revient sur son parcours de femme en politique pour Informelles. Racisme, sexisme et autres attaques n'ont pas ébranlé ses engagements, sur lesquels elle revient avec émotion et raison.

Sommaire

    • Sa vision de l’engagement
    • Najat Vallaud-Belkacem et le sexisme
    • Son conseil : les femmes doivent prendre la parole
    • Ce qu’elle espère du Fonds pour les pertes et dommages (COP27)

C’est une exception statistique, dans une société inégalitaire marquée par la reproduction des élites et le sexisme. Née dans un petit village du Maroc, immigrée enfant en France puis naturalisée, élevée dans un milieu modeste, Najat Vallaud-Belkacem a été ministre des Droits des femmes (2012-2014) et de l’Education nationale (2014-2017) pendant la présidence de François Hollande. A 45 ans, elle est actuellement conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes (groupe Socialiste, Ecologiste et Démocrate), directrice France de l’ONG ONE, co-fondée par le chanteur Bono, et présidente de France Terre d’Asile.

Si sa success story ne doit pas invisibiliser les discriminations, qui restent la norme, Informelles a néanmoins voulu l’interroger sur son parcours, en tant que femme politique, et sur l’actualité du Fonds pour les pertes et dommages (causés aux pays les plus vulnérables au changement climatique), annoncé lors de la COP27. Entretien.

Sa vision de l’engagement

Informelles : Dans votre livre La Vie a plus d’imagination que toi (Grasset, 2017), vous écrivez, à propos de votre engagement pour la cause des femmes : « Est-il dû en partie à mon histoire personnelle ? C’est possible.» Ce n’est donc pas une certitude ?

Najat Vallaud-Belkacem : Ce qui sous-tend cet extrait, c’est une certaine philosophie de l’engagement : selon moi, il ne doit pas porter exclusivement sur des sujets que vous avez expérimentés vous-même, dans votre chair.

Cela vaut pour les hommes vis-à-vis des luttes féministes ?

N. V.-B. : Oui. Ces combats doivent pouvoir être portés par les deux sexes. Regardez en ce moment la contestation en Iran : des hommes, jeunes en particulier, prennent le parti des femmes et le payent de leur vie. Le féminisme masculin existe.

Najat Vallaud-Belkacem et le sexisme

Quand vous étiez au gouvernement, vous avez été la cible de propos sexistes violents (comme dans la tribune de Jean-Paul Brighelli publiée dans Le Point en 2015). Qu’en retenez-vous ?

N. V.-B. : Parfois l’émotion populaire se saisit d’un sujet et, à d’autres moments, elle ne voit pas passer quelque chose qui aurait mérité qu’elle se déchaîne… Quand je suis devenue ministre de l’Education, la pilule a été très dure à avaler pour certains : une jeune femme, d’origine étrangère. Qu’est-ce qui relevait du sexisme, qu’est-ce qui relevait du racisme ? Pas toujours simple de faire la part des choses. Ce que j’ai appris, c’est qu’il est bien sûr important de se défendre, mais cela ne doit pas prendre 90 % de votre temps de parole – contrairement à ce qu’espèrent vos adversaires.

A vos débuts en politique, quand vous étiez moins connue, avez-vous subi du sexisme ?

N. V.-B. : J’ai eu l’impression qu’une jeune femme en politique est vue comme un pot de fleurs. On vous accuse assez facilement d’être là pour faire beau. On imagine rarement que vous puissiez, vous aussi, réellement avoir des convictions à défendre.

« J’ai eu l’impression qu’une jeune femme en politique est vue comme un pot de fleurs. » Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre des Droits des femmes et de l’Education nationale  

Un moment clé dans votre parcours politique ?

N. V.-B. : Peut-être ma première élection sur mon nom, comme conseillère générale du Rhône lors des élections cantonales de 2008. Dans un canton (NDLR Lyon-XIII-Montchat) qui n’avait jamais été à gauche – le type de circonscription où l’on vous met parce que vous êtes une jeune femme, et qu’on ne veut pas vous en donner beaucoup… Un moment très émouvant.

Son conseil : les femmes doivent prendre la parole

Un conseil à nos lectrices pour se faire une place dans une société sexiste, en politique ou ailleurs ?

N. V.-B. : Cela vaut pour tous les lieux de pouvoir : il faut prendre la parole. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait si naturellement que ça, nous les femmes, car nous avons souvent été élevées dans l’idée qu’on parle quand cela apporte une véritable plus-value, une expertise… Je me suis aperçue que les hommes s’expriment beaucoup plus souvent en réunion, même pour répéter ce qui a déjà été dit – pour marquer leur territoire, en fait. Or à la fin, on se souvient de qui a parlé, pas toujours de ce qu’il ou elle a dit.

Lire aussi

• En France et dans le monde : les femmes politiques de 2021-2022
• Qui est Elisabeth Borne, nouvelle Première Ministre en remplacement de Castex ?

Ce qu’elle espère du Fonds pour les pertes et dommages (COP27)

Avec l’ONG ONE, vous êtes notamment engagée contre l’extrême pauvreté dans le monde. Qu’espérez-vous du Fonds pour les pertes et dommages (subis par les pays en développement les plus vulnérables au réchauffement climatique), annoncé lors de la COP27 à Charm El-Cheikh, en Egypte en novembre 2022 ?

N. V.-B. : De nombreuses questions concernant ce fonds restent sans réponse. Qui en seront les bénéficiaires et les contributeurs, et à quelle hauteur ? Tout reste à construire. Pour aller au-delà de l’effet d’annonce, ce fonds devra être financé à la hauteur des besoins, et ils ne sont pas négligeables. Ces coûts sont estimés entre 290 et 580 milliards de dollars par an d’ici 2030… Ce coût dépendra également fortement de notre capacité à financer la transition écologique.

Qui doit contribuer financièrement à ce fonds ?

N. V.-B. : La question est très controversée au sein de la communauté internationale. Mais il est évident que les principaux pays les plus émetteurs d’émissions et les pays producteurs de pétrole sont en tête de liste. Même si l’on peut se demander quelle part devra être purement publique, par rapport par exemple aux taxes sur les entreprises à forte emprunte carbone. La majorité de ces financements devront se faire sous forme de dons et non de prêts, au risque d’aggraver la situation économique des pays bénéficiaires. Enfin, le caractère additionnel du fonds est une condition non-négociable pour sa réussite. Il est impensable que ces financements soient prélevés sur des projets ou financements promis ailleurs… Il nous faudra être extrêmement vigilants !

Partager cette publication

Informelles a besoin de vous!

A trois associés- Olivia Strigari, Yves Bougon et Mickaël Berret -  on a réalisé un rêve un peu fou: créer un média économique indépendant pour les femmes actives, pour avoir un impact sur l’égalité femme-homme, pour briser le plafond de verre et l’isolement des femmes managers, insuffler l’esprit de sororité parmi toutes celles qui œuvrent au quotidien, pour les inspirer avec des portraits de leurs paires, pour partager leurs expériences, leurs coups de gueule et de tête, pour les accompagner pas à pas dans leur aventure. Celle d’être une femme épanouie et libre.

Ce rêve est désormais en ligne, à un an de son lancement. Avec un nouvel outil génial qui œuvre pour la presse indépendante: la plateforme Jaimelinfo qui permet de faire des dons défiscalisés aux médias qui vous tiennent à cœur. Alors si vous partagez notre démarche et avez envie de contribuer à l’avancée de la parité, n’hésitez pas à nous soutenir ! Votre don sera défiscalisé à 66% et, en plus, réduira vos impôts!

Pour agir concrètement et faire que l’indépendance financière des femmes soit une réalité et l’entrepreneuriat féminin facilité…

Soutenez Informelles.media, la presse libre et indépendante pour l’empowerment féminin!

Donate