Sommaire
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Une américaine du Texas
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À l’origine d’une décision historique
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Une rencontre capitale pour Jane Roe – Norma McCorvey
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Une carrière fulgurante pour Sarah Weddington
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Héritage et controverses
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Des personnalités pro-IVG contre l’arrêt Roe
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L’arrêt pro-IVG aujourd’hui remis en cause
Sarah Weddington était une femme de convictions. À l’issue de son premier procès, plus jeune avocate à plaider devant la Cour suprême des États-Unis – elle a alors 26 ans -, elle contribue à modifier la législation anti-avortement du Texas en janvier 1973, en faveur de l’IVG (interruption volontaire de la grossesse). Son action fait jurisprudence et ouvre la voie à la libéralisation de l’IVG dans de nombreux Etats américains. Elle s’engage alors en politique et est élue à la Chambre des représentants. De 1978 à 1981, elle conseille même le président Jimmy Carter sur les droits des femmes. Dans un message d’hommage, l’ancien président, aujourd’hui âgé de 97 ans, a indiqué que Sarah Weddington « était une guerrière en lutte permanente pour l’égalité des droits des femmes ».
Une américaine du Texas
Sarah Weddington, née Ragle, est une Texane « pure souche ». Elle naît dans la petite ville d’Abilene en 1945, et reçoit très tôt une stricte éducation religieuse puisque son père, Herbert Doyle Ragle, y est pasteur « méthodiste », un courant issu de l’anglicanisme. La mère de Sarah, Lena Catherine, est enseignante. C’est dans ce contexte que la jeune Sarah grandit et décide de poursuivre son apprentissage à l’université McMurry de sa ville natale. Elle y obtient une licence d’anglais avant de se lancer en 1964 dans des études de droit à l’université du Texas. Elle fait partie d’une promotion de 40 femmes sur un total de 1 600 étudiants mais cette infériorité numérique ne l’empêche pas d’acquérir son diplôme trois ans plus tard.
Alors que Sarah effectue sa dernière année à l’université, elle tombe enceinte de son compagnon de l’époque, Ron Weddington, avec qui elle sera mariée de 1968 à 1974. Peu enclin à assumer un nouveau-né, le couple décide de se rendre au Mexique pour avorter, un choix déterminant qui influencera la suite de la carrière de la future avocate.
- Sarah Weddington dans son bureau d’Austin, au Texas, à la fin des années 1990. ©ABACAPRESSE Crédits: Bob Daemmrich/ZUMA Press
À l’origine d’une décision historique
C’est à 26 ans que Sarah Weddington s’engage dans le premier procès de sa carrière d’avocate, le procès « Roe v. Wade« . Il marquera l’histoire du droit américain et de la legislation pro-IVG. Désireuse d’avorter, Norma McCorvey -plus connue sous le pseudonyme de Jane Roe- porte plainte en 1973 contre le procureur et l’état du Texas qui interdit l’avortement à l’exception des cas où la grossesse met en danger la vie de la mère. Le procès oppose d’un côté Norma et de l’autre Henry Wade le procureur du comté de Dallas. Sa demande est rejetée et la plaignante fait alors appel.
Une rencontre capitale pour Jane Roe – Norma McCorvey
On lui présente Sarah Weddington et Linda Coffe, une autre jeune avocate, qui souhaitent défendre des femmes comme Jane Roe. Débute une bataille judiciaire acharnée contre l’état du Texas qui se poursuit jusque devant la Cour suprême. Ne renonçant pas, les deux avocates intentent un recours collectif et se posent en porte-parole des femmes américaines, soutenues par de nombreuses associations féministes. Le jury donne raison à la plaignante, ce nouvel arrêt historique permet ainsi la libéralisation de l’IVG considérée comme un droit constitutionnel. De la détermination des deux avocates naît une révolution : les femmes américaines ont désormais le droit à l’avortement. De 1973 à 2015, près de 45 millions d’interruptions volontaire de grossesse sont réalisés aux États-Unis, dont une grande majorité durant les années 1980.
Une carrière fulgurante pour Sarah Weddington
La pugnacité ne quittera jamais Sarah Weddington et lui permettra d’atteindre de nombreux postes prestigieux au cours de sa carrière. Elle est élue députée à la Chambre des représentants à trois reprises. En 1977, elle devient la première femme conseillère juridique au ministère de l’Agriculture. Un an plus tard, le président Jimmy Carter la nomme conseillère sur les droits des femmes, poste qu’elle conserve jusqu’en 1981, date à laquelle elle rejoint la Texas Woman’s University. Elle se consacre ensuite à l’enseignement jusqu’en 2012.
« Cet arrêt ressemble à une maison qui se trouverait au bord d’une plage et qui menacerait de prendre l’eau et de s’effondrer » Sarah Weddington en 1988 à propos de l’arrêt Roe v. Wade.
Héritage et controverses
« Cet arrêt ressemble à une maison qui se trouverait au bord d’une plage et qui menacerait de prendre l’eau et de s’effondrer ». En 1998, alors que le droit à l’avortement est sujet à controverse, Sarah Weddington souligne la fragilité de la décision de janvier 1973. Une autre célèbre activiste de l’IVG, Patricia Maginnis, disparue cet été à l’âge de 93 ans, ne cachait pas son inquiétude. Elle aurait voulu que cela soit inscrit dans la loi, ce qui ne fut jamais le cas.
Depuis les années 80, sous l’influence des leaders religieux conservateurs, les mouvements anti-avortement ont l’arrêt Roe en ligne de mire. Comme le souligne le New York Times, « les Américains connaissent mieux l’arrêt Roe que la plupart des autres décisions de la Cour suprême. Cela n’a rien d’étonnant : cette décision est au centre du débat politique depuis des décennies ». Pro et anti-avortement s’affrontent dans un contexte de plus en plus polarisé, les derniers n’hésitant pas à convoquer hommes politiques et personnalités publiques. McCorvey, elle-même, se rapprochera finalement de la cause abolitionniste. Meme si une majorité d’Américains, républicains (deux tiers), conservateurs et catholiques (56%) compris, est favorable à la dépénalisation de l’avortement, le débat est pris en otage par une minorité agissante et influente sur le parti républicain.
La personnalité et les mensonges de Norma McCorvey feront aussi débat. Comme le soulignait récemment le magazine New Yorker, « pendant des années, McCorvey a déclaré aux journalistes que la grossesse pour laquelle elle avait saisi la justice était le résultat d’un viol. Lorsqu’elle expliqua, dans une interview de 1987, qu’il s’agissait en fait d’une rencontre consensuelle, cette révélation mit le mouvement pro-avortement (pro-choice) dans l’embarras. Les militants anti-avortement s’emparèrent de cette confession, arguant qu’il invalidait pour l’essentiel l’arrêt de la Cour ».
Des personnalités pro-IVG contre l’arrêt Roe
Pourtant favorable au droit à l’avortement, Ruth Bader Ginsburg critiquait ouvertement le raisonnement de l’arrêt Roe. « L’impression que vous avez en lisant l’arrêt est qu’il s’agit principalement d’une affaire de droits du médecin -son droit de prescrire ce qu’il pense être nécessaire à sa patiente. La question du libre choix n’est pas liée à la notion de vie privée, ni à celle du droit du médecin, mais au droit d’une femme à contrôler son propre destin, à être capable de faire des choix sans qu’un État « Big Brother » lui dise ce qu’elle peut et ne peut pas faire », déclarait-elle dans une interview de 2019. Pour elle, il aurait mieux fallu laisser faire le processus politique de libéralisation de l’IVG, la plupart des États ayant progressivement légalisé l’avortement. L’arrêt Roe aurait ainsi contribué à une polarisation néfaste du débat, encore vivace aujourd’hui…
« Il aurait mieux fallu laisser faire le processus politique de libéralisation de l’IVG » Ruth Bader Ginsburg en 2019 à propos de l’arrêt Roe v. Wade.
L’arrêt pro-IVG aujourd’hui remis en cause
L’arrêt Roe est aujourd’hui confrontée à son défi le plus sérieux. En 1992, la Cour suprême avait déjà rendu une décision qui limitait les prérogatives de l’arrêt Roe v. Wade, précisant que le droit était valable tant que le fœtus n’était pas « viable », en d’autres termes qu’il ne dépassait pas 22 à 24 semaines de grossesse. La Cour suprême -dont 6 juges sur 9 ont été désignés par des présidents républicains- est sur le point de confirmer une loi du Mississippi qui pourrait essentiellement faire reculer Roe. Votée en 2018, elle interdit l’accès à l’IVG à partir de 15 semaines de grossesse puis restreint son autorisation à partir de 6 semaines. En septembre dernier le Texas, pourtant terre d’origine de Sarah Weddington, a introduit une loi encore plus restrictive qui interdit l’utilisation de l’IVG à partir du moment où les battements de cœur de l’embryon sont détectables, soit aux alentours de six semaines de grossesse. De plus, elle ne prévoit pas d’exception en cas d’inceste ou de viol. Alors que disparaissent les principales protagonistes du droit à l’avortement comme Sarah Weddington, Ruth Bader Ginsburg ou Pat Maginnis, les Etats-Unis semblent donc revenir cinquante ans en arrière à l’heure des premiers combats pro-choice et féministes.