Sommaire
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La solitude de l’entrepreneuse Made in Japan
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Le maquillage au service de l’empowerment
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Maternité et vie professionnelle
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Le salut de l’extérieur
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Quels rôles modèles ?
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La santé mentale des femmes japonaises
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Une CEO activiste.
- Rieko Nagashima CEO de Know Who Co
Dans une société japonaise où, comme l’indique un proverbe, “il faut taper sur le clou qui dépasse”, Rieko Nagashima, 44 ans, a toujours été une anti-conformiste. A 19 ans, elle décide de quitter le pays et d’aller aux Etats-Unis pour ses études. Puis, à 29 ans, après cinq ans comme manager d’une école de beauté et d’esthétique, elle crée sa propre société Know Who Co. “J’avais travaillé sur un nouveau projet qui avait été refusé par mon président. Il n’y croyait pas mais je savais comment en faire un business profitable. J’ai donné ma démission”, explique-t-elle.
La solitude de l’entrepreneuse Made in Japan
A moins de trente ans, elle crée son entreprise dans un Japon où la prise de risque n’est pas valorisée, encore moins de la part des femmes. « On m’a dit que j’étais un peu bizarre”, s’amuse-t-elle. Mais elle n’en a cure, elle sait ce qu’elle veut. Elle se lance en utilisant ses économies et un prêt d’une banque publique. “Je n’ai jamais été particulièrement aidé, j’ai dû y arriver toute seule. Au Japon, il n’y a aucune structure d’aide aux femmes entrepreneures. Il n’existe pas, à l’instar des hommes, d’associations où les créatrices d’entreprises peuvent socialiser, échanger et trouver des conseils”, constate-t-elle.
Le maquillage au service de l’empowerment
Elle ne rencontre cependant pas de problèmes particuliers, sauf, peut-être de temps en temps, doit-elle affronter des attitudes condescendantes. “Mais mon expertise m’a toujours sauvé”. Sa société met en relation des « makeup artists” et des cosméticiennes avec des grandes entreprises ou des institutions qui souhaitent responsabiliser leur staff en soignant leur look. Le maquillage et la mode sont mis au service de l’empowerment féminin…
Pas facile de concilier maternité et vie professionnelle
Plusieurs fois au cours de ses quinze ans d’activité, Rieko a pensé arrêter. “Ma société a beaucoup souffert du Covid19 mais je vois aujourd’hui des signes d’amélioration. Cependant la période la plus difficile a sûrement été lorsque j’ai accouché de mon fils. Je l’élève seule et ma famille est loin. Il a fallu que je jongle entre ma vie professionnelle et mon rôle de mère, sans aucune aide de mon environnement pendant deux-trois ans. La société japonaise est encore très conservatrice”, observe celle qui regrette l’absence de mentors pour des dirigeantes comme elle.
« La période la plus difficile a sûrement été lorsque j’ai accouché de mon fils. Je l’élève seule et ma famille est loin. Il a fallu que je jongle entre ma vie professionnelle et mon rôle de mère, sans aucune aide de mon environnement pendant deux-trois ans… » Rieko Nagashima, CEO de Know Who Co
Le salut de l’extérieur
Où trouve-t-elle ses influences et ses rôles modèles ? “A l’étranger ! J’ai toujours pensé que les femmes en Europe ou aux Etats-Unis étaient plus libérées et inspirantes. Le discours de Kamala Harris lors de la cérémonie d’investiture m’a donné du courage”, remarque Rieko tout en lisant quelques lignes de la vice-présidente qu’elle a notées sur un papier qu’elle conserve avec elle : “nous ne voyons pas seulement ce qui a été, nous voyons ce qui peut être” (we not only see what has been, we see what can be).
Quels rôles modèles ?
Les rôles modèles que les médias japonais mettent en avant ne trouvent pas grâce à ses yeux. Elle les juge trop stéréotypés. Pour Rieko Nagashima, l’amélioration de la condition des femmes dans les entreprises et la société viendra de l’étranger. “De la même façon que Christine Lagarde a pesé dans la politique de Shinzo Abe -premier ministre de 2012 à 2020- en faveur du rôle des femmes dans l’économie, les dirigeants d’entreprises nippones ne bougeront que s’ils sentent une pression de l’extérieur. C’est comme cela qu’ils fonctionnent”, explique-t-elle. Elle remarque cependant que l’environnement pour les femmes qui créent des entreprises s’est beaucoup amélioré depuis quelques années.
« De la même façon que Christine Lagarde a pesé dans la politique de Shinzo Abe -premier ministre de 2012 à 2020- en faveur du rôle des femmes dans l’économie, les dirigeants d’entreprises nippones ne bougeront que s’ils sentent une pression de l’extérieur… » Rieko Nagashima, CEO de Know Who Co
La santé mentale des femmes japonaises
Une longue dépression post-maternité -qui ne l’a pas empêchée de continuer son activité à la tête de son entreprise- provoque chez Rieko une prise de conscience que la santé mentale est aussi importante que l’apparence extérieure. Au Japon, les femmes sont souvent les premières victimes de la pandémie. “Elles sont la variable d’ajustement du marché de travail, ce sont les premières à perdre leur travail”, explique cette entrepreneuse Made in Japan.
Selon un livre blanc récent du gouvernement, 1 698 femmes actives se sont donné la mort en 2020, contre une moyenne annuelle de 1 323 entre 2015 et 2019, l’augmentation ayant été particulièrement forte parmi celles qui ont un emploi. Les suicides liés au travail ont augmenté de près de 35%. Ceux relatifs à des changements dans l’environnement de travail ont bondi de plus de 98%. Rieko Nagashima regrette que le gouvernement continue d’ignorer ce problème majeur de santé publique. “A chaque élection, j’espère un changement mais les derniers résultats (NDLR le parti conservateur au pouvoir a remporté les législatives) ne portent pas à l’optimisme. Je me dis que le Japon ne changera jamais”, ajoute-t-elle.
Une CEO activiste
Il y a quelques années, elle décide de s’engager. Elle aide des mineures placées dans des foyers d’enfants ou des mères célibataires à retrouver confiance et estime de soi via des soins de beauté et des cours de maquillage. “Selon un sondage récent auprès de jeunes femmes de 15 à 29 ans, 40% des personnes interrogées n’ont pas confiance en elles-mêmes. C’est 10 points au-dessus des hommes”, indique Rieko Nagashima. Quel est le message qu’elle souhaite faire passer à travers ses sessions de maquillage ? “Ayez confiance en vous-mêmes et prenez votre vie en main !”, s’exclame celle qui est devenue activiste d’une ONG spécialisée dans la santé et le bien-être des femmes.